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lundi 23 septembre 2019

Apprenons à discuter !


Hier, j'ai discuté les manières de se comporter aimablement dans une discussion, et j'avais  notamment stigmatisé l'ego, la prétention.

Mais je m'aperçois ce matin que jamais on ne m'a renseigné autrement que par l'exemple qu'il fallait éviter de parler de soi dans une conversation.
Certes, j'ai appris par hasard cette formule "Le moi est haïssable", dans les Pensées de Blaise Pascal, mais à propos de discussion, j'en étais réduit à deux idées explicites : d'une part,  ne jamais parler de politique, de religion ou d'armée ; et, d'autre part, j'ai appris l'existence de ces manuels de conversation où figuraient des espèce de clichés pour être à l'aise en toutes circonstances.
Mais jamais on m'a dit explicitement comment contribuer à une discussion. Et je viens de vérifier auprès de jeunes amis qu'il en avait été de même pour eux.

Car il ne s'agit pas seulement éviter de parler de soi, mais aussi de savoir quoi dire. Et c'est là où il y a une difficulté : le "quoi dire" se fonde sur tout le travail qu'on aura fait avant la discussion, dans les heures, jours, mois, années...  Et je retrouve ici mon concept des belles personnes, celles  que nous connaissons parfaitement mais qui nous surprennent à chaque discussion, avec de nouvelles idées. Celles qui savent apporter sur la table du festin intellectuel les mets les plus délicats, les mieux choisis. Autre chose que des sandwichs vite faits. Non,  des produits leur travail, de leur réflexion, de leurs soins, de leur intelligence. Ces personnes ne se laissent pas aller à délivrer des pensées immédiates, médiocres, qui montreraient leur médiocrité, mais elles veulent au contraire  délivrer des objets bien finis, fignolés...

Oui, décidément, je crois que tous les parents et l'école devraient enseigner aux enfants  comment participer à une discussion.

jeudi 14 février 2019

Les leçons... d'un Monsieur de Qualité


Max Brossollet vient de nous quitter : quelle tristesse ! Et quelle perte ! Je me propose ici de livrer quelques souvenirs édifiants que je conserve précieusement. L'idée n'est pas d'ouvrir mon cœur comme on pourrait faire dans un journal intime, car le moi est haïssable, mais de montrer, à mes amis et à moi-même, comment cet homme extraordinaire nous a laissé des enseignements qui seront -j'espère- utile à tous.
Bien sûr, une telle perte m'atteint d'autant plus que la personnalité de Max était remarquable. C'était une "belle personne", au sens que j'ai donné précédemment, à savoir, pour simplifier, un homme qui, par la plus grande des élégances ou des politesses, savait apporter des étincelles d'intelligence dans les discussions que vous aviez avec lui... et il ne tenait qu'à votre étoupe personnelle que le brasier  grandisse ! Je prends un exemple tout simple : lorsqu'un hommage lui fut rendu, quand il quitta les éditions Belin, qu'il avait fait grandir pendant des décennies, il termina son allocution par un "Honneur à vous" qui  dit tout, je crois. Bien sûr, il y avait pensé... mais ne pensait-il pas, surtout, d'abord ?



Oui, Max Brossollet faisait partie de ceux qui rayonnent, de ceux qui font de la lumière dans nos communautés. Certes, c'est là le travail des éditeurs en général, mais il y en a tant qui font de l'édition pour des raisons extrinsèques, en mercenaires... Pour Max, je me suis toujours demandé, et je me le demande d'ailleurs encore, comment il faisait pour être si bien au service d'une transmission sans prendre la plume lui-même. Ce qui en faisait évidemment un éditeur extraordinaire : au lieu de pondre ses propres œufs, il savait bien arranger le nid. Mais la métaphore ne me plaît guère, et je reviens à ma matière : : il savait comme pas un susciter le meilleur d'un auteur, parce que c'était un lecteur... et un constructeur. Sauf erreur, il était architecte de formation, et il avait conservé de cette formation la capacité inouïe de penser la construction des textes, mais aussi des livres, voire des collections. Nous étions à l'époque du structuralisme... mais nous aurions été à l'époque de l'Encyclopédie qu'il aurait fait de même, et certainement pas avec la mauvaise réputation des commerçants qui ont produit l'Encyclopédie en châtrant malhonnêtement Diderot. Pour Max, "la vie d'une maison d'édition, c'est sa réputation" : tout était là, à savoir le travail qui doit être fait, et jusqu'au comportement de ceux qui le font, à la manière d'un Shitao qui propose de se débarrasser de la "poussière du monde" pour arriver à l'"unique trait de pinceau".

Comment ne pas être atteint, par une telle perte ! Comment ne pas déplorer la disparition d'un tel exemple ! Souvent, lors d'un décès, on pleure sur soi-même, sur des relations que l'on avait avec le disparu, sur le support de notre affection qui s'évanouit, nous laissant -égoïstement- désemparé, privé d'une de nos colonnes vertébrales. Mais, ici, je pense moins à moi qu'à nos communautés, qui ont besoin de beaucoup de lumière.  Tout en sachant que la modestie (relative, ou, disons à bon escient) de Max Brossollet ne le laissait pas aller beaucoup rayonner en dehors de sa sphère efficace. Il n'était pas de ces petits marquis qui vont à la cour, pour briller, car il préférait sa baronnie de la rue Férou, sa production éditoriale.

Editeur ? Avec Max, il y a  mille merveilleux souvenirs d'édition, à commencer par quelques uns que je livre ici. 

Par exemple, un jour, j'avais pris rendez vous avec lui  (j'avais trente ans et c'était mon Président Directeur Général) pour lui dire que, ayant regardé mes cahiers de notes avant de les ranger, j'avais compris qu'il m'avait donné des leçons d'édition à chacune de nos rencontres ; je voulais donc l'en remercier, mais il m'avait dit très modestement que c'est moi qui avait tiré des leçons de ces réunions de travail.  Quelle grandeur ! Quelle Qualité !
Ou encore, tout jeune arrivé aux éditions Belin, j'avais été invité à dîner chez lui et son épouse Nadège à l'occasion de la visite à Paris d'un des deux créateurs de la revue Scientific American. On imagine mon émoi ! Après le repas,dans le salon,  il m'avait demandé ce que j'imaginais des livres scolaires ou universitaires. Je lui avait répondu que, en classes préparatoires, j'avais eu des livres d'exercices corrigés, vite faits, en caractère de machine à écrire, mais intelligents...  et il m'avait cueilli d'un coup de poing au foie en me disant que, chez Belin, on voulait la plus grande qualité intellectuelle, mais servie par la plus belle maquette, la plus belle organisation du livre, la plus belle typographie. Quelle leçon !
Mais j'ai mille exemples de ce type. Notamment, le travail que Max m'avait invité à faire pour la production des Secrets de la casserole, manuscrit qu'il avait accepté en une soirée ! Quel bonheur que la réalisation de ce livre !
Ou encore, nous avons "perdu" notre PDG pendant plusieurs mois, quand il a racheté la Librairie générale de l'enseignement, parce qu'il avait visité la cave et découvert les documents nécessaires pour la production de la Flore de Bonnier. C'est lui-même, et nul autre, qui fit paraître à nouveau les livres, faisant un succès d'édition extraordinaires de quelques documents épars. Entre ses doigts d'or naissaient les plus beaux des livres, du Tour de la France par deux enfants à ces manuels de lecture... sans oublier l'aventure de la revue Pour la Science, où j'ai eu vingt ans de pur bonheur !

Mais, certainement sans conclure, il me faut terminer ce billet-ci en repensant à ce prêtre qui, lors de la messe d'enterrement de Max, nous invitait à nous demander quelles excuses nous pouvions lui présenter, quels mercis nous pouvions lui adresser. Je crois avoir répondu en mon cœur que Max Brossollet était, avec quelques uns que je ne nommerais pas puisqu'ils sont vivants, de ceux qui ont l'élégance de penser que tout ce qui doit être fait doit être bien fait, mais, aussi, que chaque échange doit être l'occasion d'apporter quelque chose à son entourage. Ces belles personnes sont des exemple que je chéris.

Amis, je vous souhaite d'en rencontrer !

samedi 24 septembre 2016

Les belles personnes

Lors de l'enterrement du chimiste français Pierre Potier, l'homme qui mit au point ce médicament antitumoral nommé taxotère, qui a aidé des millions de femmes à lutter contre le cancer du sein, un autre très grand chimiste, Guy Ourisson, qui était alors président de l'Académie des sciences, avait dit lors de la cérémonie d'hommage : « Il nous a laissé le privilège de l'avoir connu ».
A l'époque, la formule me paraissait superbe, intelligente et sensible à la fois, mais les circonstances actuelles m'ont fait comprendre qu'un tel privilège est quelque chose de secondaire, de très accessoire.
Je comprends que mon père, Bernard This, laisse bien plus que ce privilège, personnel et un peu égoïste : il laisse une vision de la petite enfance, du rôle du père, de la mère, de la vie in utero, la structuration d'une communauté qui se consacre à ces questions d'accueil de nouvelles vies, de nouveaux membres de la communauté humaine, et, surtout, un exemple de sagesse où se mêlaient joie de vivre, enthousiasme, curiosité.
Dans cet éloge, le mot « exemple » est essentiel, parce qu'il n'est pas de l'injonction, mais de l'invitation à bien faire. Avec modestie, sans intrusion.
Mais avec l'évocation des travaux qu'il a effectués et avec l'évocation de ses qualités, on est loin d'avoir fait le bilan, et cela prendra du temps. Pour l'heure, je réserve donc ce jugement, comme l'aurait dit Montaigne et mon père lui-même, qui proposais d'y penser un peu avant de se prononcer.


Aussi, après cette révision de la question du privilège, je veux vous faire part d'un autre changement d'idées qui m'est venu.

Jusqu'à la semaine dernière, j'avais une théorie un peu simpliste qui était la suivante : une « belle personne », me semblait-il, était quelqu'un qui, alors qu'on la connaît parfaitement, alors qu'on croit qu'on sait exactement ce qu'elle va vous dire lors de la rencontre suivante… vous surprend par ce qu'elle vous dit, mais aussi par la qualité de ses actions
Bref, pour mieux faire comprendre la théorie un peu fausse que j'avais, je la résume ainsi : on imagine que l'on sait à l'avance tout ce que la belle personne nous dira quand nous lui parlerons… mais on est aussitôt réfuté.
Là encore, j'étais dans le contentement béat d'avoir le privilège de fréquenter quelques belles personnes… mais je n'avais pas compris que cette définition des « belles personnes » était à la fois très idiosyncratique et très naïve. Je l'ai compris quand, au chevet de Papa, je me suis demandé pourquoi je ne me contentais pas de discussions de remplissage, ces façons de créer des liens interindividuels comme il y en a tant, les conversations de bistrot, les discussions bourgeoises de convenance comme on les voit dans les manuels de conversation.
C'est qu'être seulement en société, en communauté, est en réalité insuffisant : nous ne sommes pas réductibles à des animaux sociaux. Il y a la parole, et je suis de ceux qui propagent cette idée (pas complètement juste) de Condillac, reprise par le chimiste Lavoisier, selon laquelle les mots sont les idées. Je me suis soudain aperçu que ce souci du dictionnaire et de l'étymologie qu'avait mon père rejoignait les idées du physico-chimiste Michael Faraday, qui s'éduqua lui-même en se proposant d'écrire et de parler de façon aussi précise que possible.
Voilà pourquoi les discussions creuses s’insupportent : elles abaissent au rang d'animal social celui qui écoute et celui qui parle. Elles n'accèdent pas au registre des idées, des pensées qui nous font grandir.
A contrario, les idées nouvelles qui nous viennent d'autrui sont des cadeaux que l'on nous fait, et ces personnes capables de nous surprendre à chaque nouvelle rencontre sont en réalité parfaitement généreuses. Il y a une espèce de raffinement suprême, de politesse portée au plus haut point. Le but peut être pédagogique... ou non.
Il y a cette phrase : « Je te donne un dollar : j'ai un dollar en moins et tu as un dollar en plus. Je te donne une idée : tu as une idée de plus, et j'ai encore mon idée, parfois même améliorée par la nouvelle attention que je lui ai portée en te la disant ». Les belles personnes sont infiniment plus riches que celles qui ont de l'argent, puisque, travaillant avec acharnement, elles ont sans cesse des idées nouvelles qu'elles donnent aux autres.
Evidemment, les idées qui nous surprennent nous dérangent parfois : celui ou celle qui les reçoit doit leur « faire de la place », au milieu des idées qu'il ou elle a déjà. Il faut se reconstruire mentalement, ce qui gêne les plus fragiles.
Mais l'intention est toujours bonne : ceux qui nous surprennent par des idées qu'ils ont été chercher, à la mine de la pensée, ne le font-ils pas pour nous, par une attention toute particulière qu'ils nous portent ?
J'ai la chance d'avoir quelques amis qui sont de belles personnes, et parmi les belles personnes que je connais, mon père avait ce statut remarquable que c'est lui que je connais depuis le plus longtemps, et qu'il n'a jamais cessé de me surprendre.
Il ne cesse d'ailleurs pas, et je ne dois pas parler au passé : je m'étonne, aujourd'hui, que j'en sache si peu à son sujet, et il ne s'agit pas simplement de ne pas avoir connaissance de faits personnels, mais surtout de connaissance de ses idées. Mais en disant ces mots, je m'aperçois que je retrouve ceux de plusieurs qui ont parlé avant moi.
A l'analyse, je crois que ceux qui réfléchissent avec acharnement -on se souvient de son motto « labor improbus omnia vincit- font un chemin très long, dont quelques haltes seulement apparaissent à leur entourage. Mais il y a tout le reste, tout le travail intime de recherche, et tout ce reste demeure enfoui, inconnu.

Les belles personnes, pour terminer, ne sont donc pas des personnes qui se soucient de mon petit moi. Ce sont des personnes suprêmement raffinées, polies, et surtout généreuses. Ce visage qu'elles nous présentent, c'est le fruit de beaucoup de travail, de réflexion. Or on ne travaille pas impunément : il en reste quelque chose ! Et pourquoi travaille-t-on ?
Je ne parviens pas à ne pas imaginer que mon père ait voulu autre chose qu'une vie « exemplaire », mais pas un exemple que l'on doit suivre ; un exemple que l'on est invité à raisonner, pour construire chacun notre propre vie exemplaire.
Sa devise était « Labor improbus omnia vincit » ? La mienne est devenue d'abord « D'r Schaffe het sussi Wurzel un Frucht » (le travail a des racines et des fruits délicieux), puis, plus récemment « Mir isch was mir macht »… : nous sommes ce que nous faisons. Mon père était tout ce qu'il a fait, et il a fait beaucoup !
Nos communautés ont, plus que jamais, un immense besoin de telles personnalités !