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jeudi 5 octobre 2023

Mousse au chocolat

 
Le séminaire de gastronomie moléculaire du mois de septembre 2013 était consacré à la mousse chocolat, et, plus précisément, à l'opération de « sacrification ». 

De quoi s'agit-il ? On commence par fondre du chocolat avec du beurre, et, à part, on fouette des jaunes d'oeufs avec du sucre jusqu'à faire le « ruban ». On prépare alors des blancs d'oeufs en neige, également avec du sucre. Puis on met le ruban dans le chocolat et l'on ajoute enfin les blancs d'oeufs battus en neige. La sacrification concerne l'ajout des blancs d'oeufs battus en neige, que l'on ne fait pas en une seule fois mais en plusieurs : on ajoute d'abord une petite quantité de blanc en neige et l'on mélange -dit-on- assez énergiquement avant d'ajouter le reste des blancs, que l'on mêle à la première masse avec beaucoup plus de délicatesse que dans le premier cas. 

Voilà pour la théorie, mais, vu les opérations que nous avons effectuées au séminaire, je trouve que les apprenants en cuisine ont bien du mérite, car l'imprécision de la description des opérations par les enseignants est considérable ! 

D'abord, à propos de l'objectif : une mousse au chocolat professionnelle n'a absolument rien à voir avec une mousse au chocolat domestique, à savoir que, malgré les indications données dans les recettes à propos de l'opération de mélange du blanc d'oeuf en neige (il est dit qu'il ne faut pas viser un mélange homogène), les professionnels visent en réalité un mélange tout à fait parfait, où le blanc en neige ne s'aperçoit plus ; il est imposé d'obtenir une la préparation parfaitement lisse, que la moindre granularité apparente suffit à disqualifier. 

La confection de la mousse au chocolat est peut-être la recette à propos de laquelle j'ai vu le mieux l'importance du tour de main, des gestes professionnels. Par exemple quand on fait fondre le chocolat : une casserole d'eau et un cul-de-poule par-dessus, ce qui permet d'avoir ce dernier légèrement chauffé, afin que le chocolat fonde assez lentement. L'ajout de beurre ne pose pas de véritable problème, mais la confection du ruban est un geste bien particulier, tout comme le battage des blancs en neige. 

 

Bref la confection d'une mousse chocolat ne ressemble en rien à ce qui est dit et écrit, et il y a là un vrai geste professionnel, distinct de la pratique domestique. A explorer en vue de faire grandir le métier, donc.

vendredi 16 avril 2021

Faire d'emblée une séance de choix de carrière


On voit trop d'étudiants, en master, qui ne savent pas vers quelle carrière ils se dirigeront... alors que la seconde année de master est celle qui les mettra dans le "monde du travail".

"Je verrai", disent certains que l'on interroge. Bon, mais tu verras quand ? Et, inlassablement, j'observe des décisions qui ne sont pas prises. Les plus aisés (ceux dont les parents marnent et payent) enchaînent un deuxième master derrière le premier ; d'autres échouent à des postes qui n'ont rien à voir avec les études qu'ils ont faites ; d'autres encore cherchent à se réfugier en thèse, acceptant des propositions qui les condamnent ensuite à  ne pas trouver de travail ni dans l'industrie ni dans la recherche scientifique.

C'est évidemment intolérable, et les efforts d' "orientation" de la classe de Troisième sont complètement insuffisants ! Non seulement nos amis ne sont pas décidés, mais tout leur temps a été passé à ne pas se renseigner, afin d'être en mesure de choisir.

C'est, je crois, une obligation qui est faite aux équipes universitaires que d'organiser, répétitivement, jusqu'à ce que chacun soit décidé, des séances d'orientation.

En tenant compte des connaissances et des compétences ! Croit-on qu'il soit bien responsable de laisser s'engager vers l'astrophysique quelqu'un qui n'a que des notes médiocres en physique ? De laisser s'engager vers la chimie quelqu'un qui confond molécules et composés, qui ignore (en seconde année de master) des réactions aussi élémentaires que celle de Diels-Alder ? De laisser s'orienter vers les sciences quelqu'un qui ne sait pas résoudre un système de deux petites équations à deux inconnues ?

Mon objectif n'est pas de faire une collection d'insuffisances, mais bien, plutôt, d'inviter mes collègues à être très actifs, non seulement dans leurs enseignements, mais, aussi, dans l'aide qu'ils peuvent apporter à nos jeunes amis indécis. Je le répète : il est irresponsable de les laisser aller au casse-pipe. Il est de notre devoir de les alerter, non pas une fois, mais dix, cent, mille...

Inversement, plus positivement, nous devons présenter des possibilités. Non pas des possibilités théoriques, mais des possibilités concrètes, pratiques, assorties de descriptions des activités quotidiennes qui sont -en réalité, sont- les métiers possibles, accessibles avec les études qui sont faites.

Bien sûr, labor improbus omnia vincit, un travail acharné vient à bout de tout ; bien sûr, chacun d'entre nous peut se réveiller un jour, se retrousser les manches, changer, devenir capable de tout... mais il faudra quand même se retrousser les manches, et plus tard on le fait, plus il y aura de travail pour récupérer les années perdues.

Perdues : je viens d'entendre un jeune ami me dire que ce temps n'était pas perdu, qu'il avait appris plein de choses... Mouais : interrogé sur ce qu'il avait appris, j'ai vu surtout qu'il avait beaucoup oublié... en supposant qu'il ait vraiment appris.

Non, sans un objectif clair, nos amis n'ont pas de motivations à étudier, à rester chez eux, seul, à la table de travail, pour apprendre, c'est-à-dire retenir ces connaissances qu'il faudra ensuite transformer en compétences pour exercer un métier.

lundi 28 octobre 2019

Comment le métier de cuisinier évoluera-t-il ?



Après une conférence où je discutais la cuisine note à note :

J'ai une petite question sur votre conférence que je vais essayer de formuler correctement : le chef qui a ouvert un restaurant totalement note à note se considère-t-il encore comme un chef au sens classique du terme ou bien désormais davantage comme un technicien de laboratoire ? Il ne doit quasiment plus appliquer les gestes classiquement employés dans la restauration !
C'est intéressant de se dire que le métier de cuisinier pourrait maintenant basculer davantage sur la capacité de savoir mettre en partition des saveurs en étant totalement  déconnecté de la maîtrise des gestes encore en vigueur dans ce métier et qui en sont une identité très forte.


Ma réponse est la suivante : 

1. en substance, la question culinaire est artistique, et la technique n'est rien.
2. donc les cuisiniers sont des artistes, pas des techniciens, ni des technologues, ni des scientifiques ;
3. et les cuisiniers "note à note" suivent des recettes et les interprètent en termes gustatifs, comme Andras Schiff interprète Bach.


Je développe un peu :

1. La question culinaire est la suivante : le cuisinier ou la cuisinière doivent "faire à manger", ce qui signifie d'organiser des ingrédients pour faire des "plats", des "mets", ce que l'on peut interpréter comme des systèmes physico-chimiques qui apportent à l'organisme de quoi se développer ou s'entretenir. Mais ces mets doivent "passer la barrière du goût", à savoir qu'ils doivent être reconnus comme "bons", et non pas seulement pour des raisons intellectuelles, mais aussi parce que la détection sensorielle des divers composés permet à l'organisme de préparer la digestion des mets.
Il y a donc des questions sensorielles, et des questions culturelles.
Et, d'autre part, je vois clairement une différence entre l'artisanat (pensons au peintre en bâtiment) et l'art : bien sûr, l'artiste doit être un excellent technicien, mais la question technique est seulement de venir à l'appui de l'idée artistique (le "bon", qui est le beau à manger). Et pour l'artisan, aussi, la question du bon s'impose.

Pour cette question technique, la cuisine note à note se pratique avec les mêmes ustensiles que la cuisine classique ou que la cuisine moléculaire : on coupe, on chauffe, on broie, on refroidit, on verse, etc.


2. Oui, les cuisiniers sont des techniciens, quand ils sont artisans, ou des artistes quand ils sont artistes.
Par exemple, un crêpier doit correctement préparer la pâte, avec une fluidité appropriée, puis bien l'étaler et la retourner, quand vient le moment : c'est un travail technique.
Par exemple, un cuisinier qui sert des steaks frites ou n'importe quel plat du jour classique doit être capable de suivre une recette, à savoir que le steak doit être bleu, saignant, à point ou bien cuit selon la demande du client, et les frites doivent être cuites sans être trop brunes (sans quoi elles seraient chargées de trop d'acrylamide et autres composés toxiques).
Par exemple, un pâtissier doit savoir faire de la pâte à choux et la cuire.

Mais pour la question artistique, le travail technique est dépassé par la création artistique.

Bien sûr, il n'est pas interdit au cuisinier d'avoir une réflexion technologique : s'intéresser à sa technique et chercher à l'améliorer. Mais cela ne doit pas l'emporter sur son travail, sans quoi il n'est plus cuisinier, mais technologue.
De même pour la science : le cuisinier pourrait décider de s'intéresser à chercher les mécanismes des phénomènes qui surviennent quand il cuisine... mais :
- il ne serait plus cuisinier
- il lui faudrait lâcher les ustensiles de cuisine pour passer au maniement d'outils d'analyse et d'équations... en vue de tout autre chose que la production d'aliments.


3. Pour la cuisine note à note, il en va exactement comme pour la cuisine classique, avec des créateurs et des interprètes.
Pour les deux, il n'est pas nécessaire d'être chimiste, mais il faut connaître les ingrédients et la façon dont ils se transforment quand on les traite. Par exemple, un poulet chauffé à plus de 150 degrés brunit, tandis que sa chair coagule, que son goût change. Mais, au fond, est-ce si différent quand le cuisinier mélange des protéines (une poudre, comme la farine) et de l'eau, avant d'ajouter des composés colorés, sapides ou odorants, et de faire cuire l'ensemble dans une poêle : ça ou une crêpe, quelle différence ?
Bref  les cuisiniers "note à note" suivent des recettes (qu'ils créent eux-mêmes ou qu'ils  interprètent en termes gustatifs, comme n'importe quel musicien interpréterait des auteurs classiques. Quand l'outil est au point, la technique s'efface devant le travail artistique.

Et c'est ainsi que, un jour, mon ami Pierre m'a demandé s'il devait apprendre la chimie, et ma réponse a été immédiate : surtout pas, consacre tout ton temps à ton art, puisque la question technique n'a guère d'intérêt, et qu'elle pourra éventuellement résolue par des technologues, le jour où tu en auras besoin.

Bref, pour les cuisiniers de demain ne seront certainement pas des scientifiques, ils n'ont pas besoin d'être des technologues ; en revanche, il leur incombera un travail technique... et la question du bon, à savoir du beau à manger !

lundi 9 juillet 2018

Nos étudiants doivent travailler dans l'industrie !


Peut-être ai-je tort de m'exprimer à ce propos, parce que le sujet est politique, donc sujet à controverses, mais c'est en réalité une réponse à des questions que me posent des étudiants.

Beaucoup sont un peu égarés par la cacophonie sociétale, et ils ont une idée fausse du monde réel -et pas fantasmé par des média- où ils vivent. Par exemple, je me souviens d'un étudiant en stage dans notre groupe de recherche qui voulait faire de la science, parce que, disait-il, l'industrie aurait été un milieu humainement effroyable. Il faisait une double erreur : d'une part, à propos de l'industrie, et d'autre part à propos  de la science.
A propos de l'industrie : je ne sais comment il avait eu cette idée fausse sur l'industrie, parce que, quand même, l'industrie, c'est 90 % pour cent au moins de notre pays, et à moins d'admettre que l'humanité est inhumaine, comment penser que toutes les sociétés, petites, moyennes ou grosses, ne soient composées que de gens terribles ? Méfions-nous des généralités, disait justement Michael Faraday)
D'autre part, à propos de science, la question était quand même de savoir s'il avait les capacités pour en faire... et cet étudiant-là était un des plus faibles qui soient jamais venus dans notre groupe. Pour mieux comprendre, d'ailleurs, j'ajoute que j'accepte TOUS les étudiants qui veulent venir apprendre, sans tri, sans sélection, et non pas parce que j'ai besoin de main d'oeuvre (je sais très bien faire ce qui m'amuse tout seul), mais surtout parce que je me sens une obligation morale depuis que la première stagiaire m'avait harcelé pour venir en stage, alors que je refusais tout le monde, et qu'elle m'avais convaincu avec l'observation : "Vous, on vous a accepté en stage".
Bref, pour en revenir à l'étudiant qui détestait l'industrie (sans la connaître), il était aussi enfantin qu'un enfant qui déteste les épinards sans les goûter, et, surtout, il n'avait ni les capacités pour faire de la science, ni les connaissances acéquates... ni la capacité de travail pour rattraper son retard.  Je me trompe peut-être, mais je ne crois pas que ce garçon ait pu, depuis qu'il nous a quitté, devenir capable de faire de la science. En réalité, il faisait partie de ce grand nombre de personnes que la vulgarisation fascine, mais qui ressemblent aux papillons de nuit qui viennent se brûler les ailes sur les bougies qui brûlent dans la nuit.
Cet exemple est le pire de ceux que j'ai rencontrés, mais il n'en demeure pas moins que beaucoup de nos stagiaires venus de l'université ne comprennent pas pourquoi ils devraient viser une carrière "industrielle", et ils veulent faire de la "recherche", sans savoir ce que recouvre ce mot, et sans en avoir la capacité, alors que la fin de leurs études approche. A ce propos de "recherche", je me suis expliqué dans un billet précédent.
D'autres étudiants confondent science, technologie et technique, ce qui, on en conviendra, ne peut guère les aider pour faire des choix... en supposant que le retard qu'ils ont pris leur permettent de le faire encore.
Et d'autres encore ne comprennent pas pourquoi les institutions scientifiques ne peuvent pas accepter tous les postulants, pourquoi tout le monde ne peut pas être fonctionnaire.

Je ne critique pas nos étudiants, mais je propose d'être de ceux qui les aident en leur disant des choses justes, pas démagogiques. C'est pour eux, et pour eux seulement, que je fais ce billet.

Je propose donc de dire, de façon très élémentaire, que ce monde où nous vivons (eux aussi !) -pensons pour l'instant à la France- est un monde où chacun utilise (je ne dis pas "consomme") des ingrédients alimentaires ou des aliments, des briques et des peintures pour se loger, des voitures, bicyclettes, trains et avions pour se transporter, des vêtements, des ordinateurs...
Cela, nous le payons avec l'argent que nous gagnons par notre travail... de production : le plus souvent, nous échangeons notre activité, notre "industrie", contre de l'argent qui paye ces biens dont nous avons besoin. D'ailleurs, je dis "des biens", mais il peut s'agir de services !
Et l'industrie alimentaire de produire des aliments qu'elle fait payer, ce qui paye ses salariés, qui achètent des ordinateurs à sociétés micro-électroniques, des voitures à des constructeurs, de l'énergie à des société idoines, des vêtements à des sociétés textiles ; et chacune de ces sociétés fait payer les biens qu'elle produit, afin de distribuer l'argent qu'elle gagne à ses salariés, qui achètent etc.

On le voit, dans cette affaire de production de biens et de services, les fonctionnaires n'ont pas leur place. Ils ne la trouvent que parce que l'état prélève des impôts, pour harmoniser le fonctionnement de la collectivité nationale. Cet argent permet de créer les routes qui servirons à tous : pour que les citoyens puissent aller travailler ou partir en vacances, pour que les transporteurs routiers puissent faire leur métier, et, plus généralement pour que les citoyens puissent circuler. Il permet de payer des fonctionnaires dans des agences de régulation du commerce, dans des institutions de contrôle de l'hygiène (afin que n'importe qui ne puisse pas empoisonner tout le monde en vendant des aliments malsains).
Je passe sur les nombreux  services de l'état, pour me concentrer sur la recherche scientifique. C'est parce que l'innovation est la clé de la réussite industrielle que l'état paye des scientifiques, qui produisent de la connaissance que les ingénieurs peuvent ensuite transférer, afin d'améliorer la technique. Ce qui pose d'ailleurs une grave question pas résolue, à savoir que les petites entreprises et les artisans n'ont pas d'ingénieurs pour faire ces transferts. D'où des structures nationales pour les aider.

L'argent de l'état étant limité, le nombre de scientifiques ne peut être très grand, l'on ne peut donc embaucher que les "meilleurs". D'où des concours, qui viennent souvent bien tard, après une thèse, un ou deux séjours post-doctoraux : parfois, on n'a de poste qu'à un âge avancé... et un salaire qui est loin d'être celui d'un ingénieur dans l'industrie.
Personnellement, contribuable, je revendique que les institutions de recherche scientifique n'aient que les plus capables : ceux qui ont les "capacités" de faire de la recherche scientifique.

Quelles capacités, au fait ? Comprendre la science n'est pas suffisant : c'est bien pour un ingénieur, qui doit en faire un transfert, mais pas pour un scientifique, qui doit surtout produire de la connaissance.
D'ailleurs, il faut dire aux postulants que la science que l'on fait n'est pas celle du 18e, du 19e ou même du 20e siècle : c'est celle du 21e siècle. La connaissance de la science des siècles passés (mécanique quantique, relativité, prémisses de la biologie moléculaire...)  est bien insuffisante, et il faut bien comprendre la science d'aujourd'hui pour l prolonger. Pour cela, il faut avoir un esprit ouvert, pas dogmatique, afin d'être capable de mettre en question les théories que l'on s'est donné du mal à comprendre. Certainement il faut être rigoureux, minutieux, imaginatif (pour introduire des concepts nouveaux). Certainement aussi il faut savoir calculer comme chantent les rossignols, puisque les deux pieds de la science sont l'expérience et le calcul.

Bref très peu de nos étudiants peuvent devenir scientifiques, et ceux qui le souhaitent doivent s'y prendre très tôt, et ne cesser d'apprendre. Guère de place pour la poussière du monde : les matchs de football, les "voyages", les agrégations décervelées au bistrot... Il faut aimer les équations différentielles, le calcul, les mécanismes moléculaires...

J'ajoute, pour terminer, que ne pas être scientifique n'est pas une tare ! Il n'y a pas de hiérarchie entre la production scientifique de connaissance et la production de biens : un astrophysicien n'est pas mieux qu'un constructeur de ponts, et il y a une fierté à être un bon ingénieur qui orchestre l'activité d'une équipe technique, ou à être un bon technicien qui fait une production de qualité, et, mieux, de qualité sans cesse améliorée.

samedi 9 décembre 2017

De nombreux étudiants s'engagent dans des études sans savoir quel métier ils auront plus part. D'ailleurs, j'aurais dû écrire « quels métiers », car on peut toujours changer, si l'on veut (activement : il s'agit de travailler, pas de claquer des doigts).
Evidemment, c'est un lourd investissement (en énergie, volonté, temps, travail, argent...) que de faire des études, et, moi qui ai eu la chance de savoir dès l'âge de six ans que j'étais chimiste, je m'effraie qu'il ne sachent pas quelle belle charrue ils veulent tirer.

Il faut les aider, et leur donner l'anecdote vraie suivante.

Francis Crick, l'un des découvreurs de la structure en double hélice de l'ADN (avec James Watson), était initialement physicien.
Un jour, en sortant du pub, où il était allé parler de science avec des amis, il s'aperçut qu'il leur avait parlé de biologie, comme plusieurs fois lors de visites précédentes dans l'établissement de Cambridge. Il se dit alors qu'il devait ne pas faire de physique, mais de la biologie, puisque c'est manifestement cela qu'il aimait. Il changea donc d'orientation, et, travail aidant, il eut le prix Nobel quelques années plus tard.
 Crick a érigé cela en principe : c'est le test du bavardage. Quand nous ne savons pas ce que nous voulons faire, il n'est pas trop tard pour ne pas laisser passer les jours, les semaines, les mois, les années... et pour se livrer sans attendre à ce test : faisons ce que nous aimons, parce que nous ne lésinerons pas sur le temps que nous y consacrerons, de sorte que nous aurons des chances de succès dans la voie ainsi déterminée.
Evidemment, l'introspection serait sans doute médiocre si nous restions « enfant », les garçons aimant le football et les filles l'équitation, par exemple. Ne cédons pas non plus à notre ego, en croyant que la moindre petite capacité musicale fera de nous un des premiers violinistes du monde, ou que, sous prétexte que nous avons gagné une fois un championnat local de course à pied ou d'échecs, nous devons vouer notre existence à ces voies... difficiles. Et puis, la question est de savoir vraiment ce que nous aimons. Qu'aimons-nous vraiment ? Et pourquoi ?

A noter qu'il ne sera pas inutile de croiser le test du bavardage de Crick avec une évaluation claire des activités que nous envisageons : il est facile, même si c'est simpliste, de considérer qu'une activité, un métier, peut s'évaluer de trois points de vue, à savoir les avantages intrinsèques (combien cela nous intéresse de faire l'activité), les avantages extrinsèques (combien on reçoit pour cette activité), les avantages concommittants (la reconnaissance sociale, par exemple).
On comprend que cette évaluation dépend tout autant de la personne que de l'activité : je connais des gens qui détesteraient faire le métier qui me passionne, de sorte que les avantages intrinsèques que je vois ne sont pas ceux qu'ils évaluent. Bref, on fait un bilan, et l'on se demande ensuite si l'avantage global est suffisant.

Et, pour terminer sur ce point, aucun « don » ne me paraît exister, mais cela est un parti-pris : je ne crois qu'à la vertu du travail. D'r Schaffe het sussi Wurzel un Frucht, dit le proverbe alsacien modifié par mes soins : le travail a des racines et des fruits délicieux !









Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Les métiers de la gastronomie moléculaire

Voici la question du jour :

j'aime beaucoup cuisiner et innover dans la création de mes plats.
J'entame un bilan de compétences dans le but de changer de métier. Je ne sais pas exactement vers quel métier me tourner mais je souhaiterais pouvoir allier ce que je sais faire (de la chimie) et ce que j'aime (cuisiner).
La gastronomie moléculaire me paraît être un excellent compromis et après plusieurs ateliers effectués, je puis vous affirmer que cela m'intéresse énormément.
Cependant, je cherche à recueillir un maximum d'informations sur les métiers de la gastronomie moléculaire. Et en tant que créateur de la gastronomie moléculaire, auriez-vous la gentillesse de répondre à quelques unes de mes interrogations?
Tout d'abord, pouvez-vous me dire ce qui vous y a conduit et comment?
Quels sont les métiers et activités autour de la cuisine moléculaire?
Quelles sont les principales qualités et compétences utiles pour les exercer?


Et voici la réponse :

Merci pour votre message. La gastronomie moléculaire, c'est de la science. Autrement dit, le métier est celui de chercheur scientifique, et il s'exerce au CNRS, à l'INRA, etc.
A ne pas confondre avec la "cuisine moléculaire", qui est de la cuisine, et qui s'exerce... dans une cuisine.
Entre les deux, il y a la technologie culinaire : une de mes anciennes étudiantes a ainsi créé une société de transfert technologique.

Les compétences pour la GM : celles pour la recherche scientifique
Les compétences pour la cuisine : capacités techniques pour de la cuisine artisanale, capacités artistiques pour la cuisine artistique.
Les compétences pour la technologie culinaire : celles de l'ingénieur.

Pour les réponses à vos questions, je crois que j'ai tout mis sur mon site (adresse ci dessous).

N'hésitez pas à me demander des compléments d'information

Vive la chimie et ses applications !





Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

mardi 21 février 2017

La merveilleuse question de la colonne vertébrale


Il y a ce jeune ami qui est le premier de mes soucis, cet étudiant intéressé qui travaille, qui s'accroche, qui veut y arriver, qui cherche par lui-même... C'est un individu précieux, que j'ai le devoir d'aider, si je le peux.

Parfois, il ou elle fait quelque chose de merveilleux : il ou elle travaille, apprend, se forge des compétences, alors même que son objectif n'est pas bien défini. Quel courage d'investir ainsi dans de l'étude, alors que l'activité professionnelle sera peut-être les arts, ou l'artisanat, bref tout autre chose que ce à quoi conduisent logiquement les études en sciences de la nature et en technologie !

De tous les conseils que je n'ai pas reçu mais que j'ai glanés, il y a celui-ci, dont j'ai la paternité du libellé : {{"Quelle est ta colonne vertébrale ?". }}
 Il est si essentiel, que je crois utile de le discuter un peu.

Cette question de la colonne vertébrale m'est venue dans un contexte bien différent que la pédagogie, à savoir l'analyse de l'art, et, plus particulièrement, à propos d'un tableau attribué à Léonard de Vinci, où l'on voit des cavaliers, sur leurs chevaux, se battre.
La scène est d'une vigueur terrible, et, pour ce tableau particulier, je ne sais plus comment j'en suis venu à savoir que le tableau était la manifestation d'une idée : les hommes et les bêtes (les chevaux) se ressemblent quand ils se battent. Et c'est bien ce que l'on voit sur ce tableau : des rictus très semblable pour les hommes et les bêtes. Tout le tableau n'est qu'une orchestration de ce thème de solistes, si l'on peut prendre une comparaison musicale (qui invite à chercher des interprétations dans d'autres arts).



Ici, je ne sais plus pourquoi, mais j'ai analysé que l'idée fondatrice était comme une colonne vertébrale. Elle structure, elle évite qu'un tas de viande ne s'effondre en une sorte de flaque sur le support.

 Cette idée de colonne vertébrale m'a semblé si éclairante que je me suis mis à chercher des colonnes vertébrales partout : dans mes travaux, dans ma vie. Dans ma vie ? La passion pour la physique chimique (les sciences de la chimie) était-elle une colonne vertébrale ? D'une certaine façon, mais pourquoi cette passion ? Dans mon (mauvais) livre "La sagesse du chimiste", j'ai identifié que le cycle de la transformation du carbonate de calcium en chaux vive, chaux éteinte, eau de chaux, puis de nouveau carbonate de calcium était à l'origine de mon éblouissement. Mais ce n'était en réalité qu'une étincelle, et je crois bien plus fort ce sentiment d'incompréhension que le monde soit écrit en langage mathématique, en calcul. Quoi  : on mesure une intensité de courant et une différence de potentiel électrique, et l'on induit une relation de proportionnalité qui s'étend même aux mesures que l'on n'a pas faites, en vertu de la relation mathématique de proportionnalité ? Quelle merveille !
En réalité, les sciences de la nature ne sont que cela : un émerveillement de voir le monde écrit en langage mathématique. Cela dépasse -de loin-  le plaisir enfantin de "bouger ses doigts" et de "faire des expériences". C'est la grande question de la science, celle qui structure toutes les bonnes épistémologies !

Je conçois évidemment que tous ne soient pas émerveillés comme moi, et qu'ils puissent trouver dans leur activité des forces, des beautés que je ne vois pas : le médecin qui soigne, le mécanicien qui résout le puzzle de la panne et répare, le souffleur de verre, le musicien, le boulanger... Pour chaque activité, j'espère que mes amis ont une bonne raison de s'y adonner, mais, surtout, la question est posée : quelle est leur colonne vertébrale ?



 Résultat de recherche d'images pour "hommes chevaux se battent  léonard de vinci"

Terminons en évoquant un jeune ami qui me demandait s'il était bien nécessaire de tout rationaliser, de s'interroger ainsi, de se "psychanalyser"... Je réponds que chacun fait comme il veut, mais que je vois trop d'entre nous (et moi-même) dans un brouillard intellectuel pour ne pas penser que la voie de la rationalité soit utile.
Quant à la colonne vertébrale, au pire ce sera une question que nous nous poserons, à propos de notre existence : je ne crois pas utile de réfléchir un peu à une question si importante. Et puis, une fois cette colonne vertébrale bien identifiée, on peut centrer son activité... et ne garder de la vie que le meilleur !

jeudi 1 septembre 2016

Chimie et compagnonnage



Initialement j'avais intitulé ce billet « il n'y a pas de métier manuel, il n'y a pas de métier intellectuel ». J'ai décidé de changer, car ce titre était négatif, et, je me suis dit presque aussitôt que je ferais mieux de clamer que tous les métiers sont manuels et que tous les métiers sont intellectuels. Mais quand il est question de métier, il y a lieu de considérer les institutions qui se préoccupent des métiers, tel le « compagnonnage », qui accueille et guide des jeunes professionnels qui se soucient de bien faire.


Tous les métiers sont manuels, tous les métiers sont intellectuels

Pourquoi cette idée d'une absence de différence entre des métiers dits fautivement manuels et des métiers dits fautivement intellectuelle ? Parce qu'elle est juste ! Et, aussi, parce que j’observe un fossé qui n'a pas lieu d'être entre ces métiers dits fautivement manuels ou dits fautivement intellectuels. Oui, un fossé qui n' a pas lieu d'être, car nous avons tous une tête et des mains. Et puis, comme le disait justement Confucius, l'homme n'est pas un ustensile, ce qui signifie que l'être humain n'est pas comme un objet, limité à une fonction, qui serait de bouger les mains ou de bouger la tête.
Surtout, comme cela est discuté au moins depuis Denis Diderot avec sa Lettre sur les aveugles, nous pensons à partir de données sensorielles, Oui, il n'y a pas la tête d'un côté et les mains de l'autre. Les travaus d'intelligence artificielle ont amplement montré que nos raisonnement se fondent sur un contexte, une culture, un contexte concret. Sans tout ce qui nous vient des sens, nous ne pouvons ni raisonner, ni comprendre, ni échanger, ni même agir ! Nos notions sont comparatives, et le rapport au monde concret, perçu par les sens, est constant ! Je ne fvais pas en faire une théorie qui a déjà été largement faite, mais je rappelle simplement qu'il n'y a pas de pensée sans les « mains ». De même, il y a pas d'individu manuel, dont les mains bougeraient sans que la tête ne le fasse : que la tête nous aide ou nous gène, elle est là, et les métiers manuels sont donc parfaitement intellectuels. La tête intervient dans nos gestes puisqu'elle guide la main… mais nos mains guident aussi notre tête : quand nous prenons un verre entre les doigts, c'est la main qui dit à la tête combien presser pour éviter que le verre ne glisse, insuffisamment tenu, ou qu'il casse, trop pressé.
Et quand nous pensons, nos images mentales ne sont que par référence à des expériences, le monde ayant été « saisi » par les sens, la « main ».
Bref il n'y a pas de métier manuel ni de métier intellectuel : il y a seulement des métiers exercés par des individus qui ont une tête et des mains.


Chimie et compagnonnage

Tout cela étant dit, je peux maintenant en arriver à la relation annoncée en titre entre la chimie et le compagnonnage.
La chimie est une activité technique, de production de molécules nouvelles. Il est très nécessaire, d'être parfaitement habile de sa tête et de ses mains, pour faire de la chimie sans danger, efficacement, intelligemment. De ce point de vue, la chimie est un métier manuel. Et intellectuel aussi… comme tous les métiers.
D'autre part, la chimie transforme la matière, puisque précisément elles change la nature des corps. Certains ont même dit que son objet est la transformation de la matière. Elle transforme d'ailleurs bien plus la matière que ne le fait le tailleur de pierres, que ne le fait le cuisinier, que ne le fait le bourrelier, que ne le fait l’électricien, tous métiers du compagnonnage.
Or le compagnonnage accueille en son sein des métiers qui transforment la matière. Ne serait-il donc pas parfaitement anormal que le compagnonnage n'accepte pas la chimie ?
Et la recherche scientifique ? J'ai largement expliqué, dans d'autre billets, que les sciences chimiques ne se confondent pas avec la chimie, puisque dans un cas, il y a des sciences, et dans l'autre de la technique. Les sciences sont bien l’activité qui met des équations sur des phénomènes, activité quasi mathématiques, donc. De sorte que l'on pourrait penser que, cette fois, on est bien loin d'un métier manuel. Erreur ! Les sciences de la nature ne sont pas réductibles aux mathématiques (sans quoi on les nommerait « mathématiques »), car elles partent des phénomènes, qu'elles quantifient, par des travaux de laboratoire, techniques donc, pour arriver à des théories (du calcul)… que l'on réfute par d'autres travaux de laboratoire, à nouveaux techniques. Autrement dit, les sciences de la nature ont une composante technique essentielle, qui s'amalgame avec le calcul. Mais le travail de laboratoire est fondamental, constitutif, indispensable. La production de données se fait avec les mains, et des mains habiles !
Le physico-chimiste Martin Karplus, qui a reçu le prix Nobel pour ses travaux de calcul sur des données chimiques, ne cesse de répéter que les calculs ainsi faits doivent être absolument validés expérimentalement, et que sans les travaux expérimentaux, de laboratoire, ses calcul risquent de n'être que de vaines élucubrations.
De sorte que le sciences de la nature ont cette composante manuelle qui justifie parfaitement qu'elles deviennent des métiers du compagnonnage.

Finalement, j’exhorte mes amis compagnons à réviser leur position : je les exhorte à élargir les spectre des métiers qu'ils accueillent, à ne pas rester frileusement crispés sur des métiers techniques particuliers qui les coupent d'amis qui seraient susceptibles de contribuer à des rénovations techniques.
Ce n'est pas en creusant des fossés entre les groupes humains, entre les humains, que nous parviendront à plus d'harmonie, mais en sachant accueillir nos amis avec gentillesse, bienveillance, ouverture d'esprit, intelligence… c'est le croisement des regards qui nous donnera une vision plus juste du monde et qui, par un bon retour des choses, contribuera à embellir nos travaux, à faire grandir chacun.

Oui, que vite vienne le temps où le compagnonnage saura s'ouvrir à des métiers nouveaux !


mercredi 11 novembre 2015

Il faut s'amuser à faire des choses passionnantes

Pardonnez-moi un souvenir personnel, mais il nous donnera un exemple à propos duquel nous pourrons discuter.
Il y a quelques années, interviewé par une radio nationale,  j'avais déclaré je m'amusais beaucoup dans mon laboratoire (et c'est encore le cas aujourd'hui, peut-être encore plus que par le passé). Cette déclaration n'était pas une naïveté lâchée sans réflexion, mais, au contraire, une volonté de faire partager de l'enthousiasme, de susciter des vocations, pour les sciences de la nature ou pour la technologie, pour la vie en général : on se souvient que je crois que c'est une politesse que de ne pas se plaindre tout le temps, et, au contraire, d'être aussi positif que possible.
Bref, j'avais dit que je m'amusais  beaucoup... et je n'étais pas encore rentré au laboratoire (vite, au laboratoire, puisque c'est l'un des plus beaux endroits du monde... pour moi) que je recevais un appel téléphonique de la Direction de la Communication d'une Institution Scientifique (on comprend mon usage ironique des majuscules) qui me disait qu'il ne fallait pas faire de déclaration de ce type, que je devais pas dire que je m'amusais alors que d'autres sont au chômage, ou travaillent à la chaîne.
A l'époque, j'avais repoussé leur argument (après tout, ce n'était pas mon employeur), et, aujourd'hui, je maintiens que la position de mes interlocuteurs était idiote !Oui, je "m'amuse beaucoup"... mais que cela signifie-t-il ? Cela signifie que, du matin au soir, les week-end, pendant les vacances que je ne prends pas (et mon institution actuelle me le reproche), je ne cesse de chercher à produire de la Connaissance ! Oui, je m'amuse... sans quoi je changerais immédiatement de métier. Et je peux garantir aux contribuables que, avec mon "amusement" (on pourrait tout  aussi bien dire "travail"), l'état qui m'emploie en a pour son argent !
Oubliées les 35 heures, puisqu'il s'agit d'en faire 105, et que j'en ferais volontiers plus si j'en avais la force physique.
Oui, je m'"amuse", mais mes interlocuteurs de l'époque auraient eu raison de se demander un peu ce que  signifie "amuser". Oui,  je maintiens le mot "amuser", puisqu'il dérive de muser,  «s'appliquer, réfléchir, penser mûrement à» (Id., ibid., III, 161); 2. 1174-87 id. «aspirer, prétendre à, chercher à obtenir» (Chrétien de Troyes, Perceval, éd. F. Lecoy, 245).
S'amuser à faire son métier, n'est-ce pas la meilleure garantie de faire son travail, son métier, avec ardeur ? Et pourquoi aurait-on honte  du  bonheur d'un métier ? Ne peut-on, au contraire, souhaiter cela à tous ? Bien sûr, on n'a pas toujours  un métier merveilleux en claquant des doigts, et je gagne aujourd'hui ce que j'ai "payé" en n'allant pas "au bistrot" plus jeune : les compétences mathématiques s'obtiennent à une table de travail, seul, dans le "silence d'un cabinet".
Mais il faut aussi considérer le point suivant : ce qui est pour moi un "amusement" serait une punition pour d'autres. Des goûts  et des couleurs, on ne discute pas. Moi, les équations m'amusent, mais j'ai rencontré bien des étudiants pour qui cela était punition. La conclusion : c'est qu'il faut approprier le métier à l'individu. Tel qui aime les équations s'amusera à un métier où il en fait, et tel qui ne les aime  pas ne devra pas avoir ce métier. Autrement dit, nous devons tous choisir un métier qui nous amuse, mais ce choix est personnel, et nous n'aurons les  moyens de choisir que si nous  nous donnnons ces moyens.
N'est-ce pas un message à faire passer à tous les étudiants  : chers amis, ne perdez pas une seconde, et appliquez-vous à obtenir les compétences qui vous permettront d'avoir le métier que vous aimez, et que vous ferez alors... en vous amusant ! Pensez à l'image d'un poulain lâché dans le pré, au printemps : quand je suis au laboratoire, c'est ainsi. Je vous le souhaite de tout coeur !



dimanche 7 octobre 2012

Une question fréquente

Des étudiants nombreux posent (en substance) la même question : 

"Passionné(e) de chimie et de cuisine, je souhaite orienter mes futurs travaux  vers un domaine qui me permettra d'allier ces deux passions."



Comment répondre ? 

Analysons d'abord du point de vue de l'emploi, car il serait irresponsable de ne pas envisager que les études conduisent à un travail (et l'on sait combien j'aime le mot "travail", qui donne le mot "travaux" figurant dans la question posée).

Il y a l'industrie, qui produit des biens et des services, et l'administration, qui ne devrait être qu'un "appui" à l'industrie : si l'on fait des routes, c'est pour que la nation -qui les paye- les utilise, pas seulement pour que ceux qui les font -qui reçoivent leur financement de la nation-, non ?

Donc il semble légitime d'inviter les étudiants à penser qu'ils doivent plutôt viser un travail dans l'industrie... en se souvenant que les Canadiens ont raison de nommer "industrie" le secteur de la restauration commerciale, les restaurants en un mot : pas de différence de nature entre un cuisiniers avec quelques employés, dans un restaurant, et une petite entreprise de quelques personnes.

Un travail dans l'industrie ? S'ils sont intéressés par la "cuisine", il faut donc inviter nos jeunes amis à viser l'industrie alimentaire... dans toute sa diversité : cela va de la boulangerie, au restaurant, au fournisseurs de denrées pour le restaurant, au producteur de spécialités, jusqu'à la multinationale qui produit ou distribue des produits alimentaires.
Il y a donc du choix, des possibilités d'emploi !


Cela dit, une personne qui travaille dans ces secteurs fera-t-elle de la "chimie" et de la "cuisine" ? 

Analysons les termes :

La cuisine, d'abord : il s'agit d'une activité qui allie lien social, art, technique, mais dans des proportions qui varient, de la baraque à frites (technique) au restaurant de haute cuisine (art). Pour faire de la bonne cuisine technique, il faut être un bon technicien. Pour faire de la belle cuisine artistique, il faut être un artiste.

La chimie, ensuite : le terme est aujourd'hui confus, mais il ne tient qu'à nous qu'il le devienne demain moins.
Historiquement la chimie était un "art chimique", c'est-à-dire une activité technique : fabrication de savons, métaux, cosmétiques, aliments, etc. Puis lentement, une composante technologique s'est ajoutée, puis une composante scientifique.
De quoi parle notre jeune ami : de technique ? Produire des aliments ? Dans l'acception ancienne, produire un aliment ou orchestrer des réarrangements d'atomes ("réactions chimiques"), c'est pareil. De technologie : améliorer la technique par la connaissance des réarrangements d'atomes, c'est bien la mission des ingénieurs de l'industrie alimentaire. Science ? Là, il s'agit de "faire des découvertes", et la cuisine est bien éloignée, parce que la science n'a pas vocation de produire à manger.

A ce jour, le mot "chimie" pose donc problème, parce que l'on confond la science chimique et ses applications. Or la chimie a si mauvaise presse que l'industrie chimique voudrait ne plus être nommée ainsi, alors que la science chimique voudrait conserver le nom.
C'est peut-être l'occasion de réserver le nom de "chimie" à la science des réarrangements d'atomes (voir mon livre La Sagesse du Chimiste, Ed JC Béhar), ce qui conduirait à répondre à notre jeune ami qu'il n'y aura jamais de chimie en cuisine !

Finalement, notre jeune ami veut-il être scientifique, technologue (ingénieur), technicien ou artiste ?

J'ai l'espoir que cette analyse, qui conduit inévitablement à la dernière question, l'aidera à dépasser les fantasmes que nous avons tous, notamment de croire que l'on peut mêler la science chimique et l'art culinaire. Répétons qu'il n'existera jamais de carré rond !