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mercredi 16 janvier 2019

La cuisine moléculaire est-elle chimique ou naturelle ?

J'aime beaucoup les "questions qui fâchent", parce que, essayant d'être honnête, je n'ai jamais peur d'y répondre !
 Je recois un message d'un groupe d'élèves engagés dans un travail personnel encadré qui et libellé ainsi :

De nos jours, une cuisine dite moléculaire, le grand public sous entends "chimique" ;  "mauvaise pour notre santé", à éviter, ou encore occasionnelle. Pourtant, les techniques employées ainsi que les ingrédients n'ont rien de plus mauvais que la cuisine traditionnelle.
Alors, selon vous la cuisine moléculaire est -elle : "chimique" ou "naturelle" ?


Voilà pour le message. Examinons la réponse.


Tout d'abord, la première phrase doit être un peu corrigée, ainsi que la dernière, qui propose de comparer les ingrédients de la cuisine moléculaire à la cuisne traditionnelle (au lieu de « ceux de la cuisine traditionnelle »), mais ne chipotons pas.

D'autre part, je vois immédiatement que la « cuisine note à note » ne fait pas partie de la question, et je le déplore, car la cuisine moléculaire est quelque chose d'ancien, que je veux absolument remplacer par la cuisine note à note, pour laquelle des questions merveilleuses se posent. Mais passons.


Je veux commencer par discuter la question du « grand public », que mes jeunes amis évoquent, parce que je ne suis pas certain qu'il existe. C'est comme le Français moyen: si j'aime le vin rouge, et qu'un ami aime le vin blanc, il n'y pas de personne « moyenne » qui aime le rosé. Avec les années, j'ai appris à me méfier de ce prétendu grand public. Je crois plutôt qu'il y a des publics variés, très différents. Par exemple, je croyais naguère que les Français n'aimaient pas la science, mais ce n'est pas vrai : il y en a qui aiment, d'autres qui n'aiment pas, d'autres qui n'ont pas d'opinion, d'autres qui sont indifférents, d'autres qui ne savent pas ce que c'est, d'autres qui… De même, il y a quelques années, je voulais « réconcilier le public avec la science », mais pourquoi réconcilier des personnes qui n'ont pas à être réconciliées. Tout se rencontre, dans ce fameux « public », qu'il soit ou non « grand », et bien malin serait celui qui pourrait dire ce que pense ce grand public, voire identifier ce dit grand public.

Et, de ce fait, je me méfie des idées qui sont attribuées au public. Et puis, prononcer l'expression « grand public, au fond, c'est agiter une notion qui n'existe pas pour faire penser qu'il s'agit de 60 millions de Français, ce qui n'est pas le cas


Pour autant, il est vrai qu'une certaine proportion de nos concitoyens a des idées variées sur la cuisine moléculaire. Et souvent, comme le public ignore parfaitement ce dont il s'agit, c'est le questionnement de ce public qui fait apparaître des idées qui étaient jusque-là inexistantes, et que les personnes interrogées inventent pour la circonstance.

Mais revenons à cette cuisine moléculaire : puisqu'une bonne partie du public ignore ce dont il s'agit, je crois nécessaire de commerncer par la définir ici. Je peux le faire, puisque c'est moi qui l'ai introduite en France dès 1980, avec mon vieil ami Nicholas Kurti (qui faisait cela en Angleterre), c'est moi qu'il l'ai définie, et, surtout, c'est moi qui l'ai nommée (en 1999, soit 19 ans après nos premiers travaux) : la cuisine moléculaire, c'est une cuisine qui fait usage d'ustensiles modernes, venus des laboratoires de chimie. Par exmeple, j'ai proposé d'utiliser l'azote liquide des laboratoires pour faire des glaces ou des sorbets. Par exemple, j'ai proposé d'utiliser des thermocirculateurs pour cuire viande, poissons, œufs à des températures précises, ce qui a notamment engendré, par exemple, cet œuf cuit à basse température et que j'avais naïvement nommé « œuf parfait » (je préfère aujourd'hui l'appeler œuf à 64 degrés quand il est cuit à 64 , œuf à 67 degrés quand il est cuit à 67 degrés, etc.).

Bref la cuisine moléculaire, c'est surtout une affaire d'ustensiles, de matériels, pas d'ingrédients.

Il est vrai quand même que, dans la foulée de l'introduction des nouveaux matériels, j'avais proposé d'utiliser quelques nouveaux gélifiants : agar-agar, carraghénanes, alginates, etc., parce que je voyais naguère que les cuisiniers étaient limités à l'usage de gélatine ou bien de protéines animales pour des gels respectivement physiques ou chimiques, alors que bien d'autres polysaccharides permettent de faire des gels biens différents : cassants, qui résistent à la chaleur, souples, opaques, transparents, etc.

Donc effectivement il y a eu quelques ingrédients en plus des matériels, et tout cela a fait la cuisine moléculaire.


Est-ce « chimique » ?

Là s'impose une discussion sur la nature de la chimie : la chimie est une science, et une science ne produit que de la connaissance, pas des ingrédients, pas des matériels. Autrement dit, l'agar-agar ou les alginates ne sont pas chimiques, puisque ce ne sont pas des résultats de la science ; ce sont des produits. On pourrait dire que ce sont des applications de cette science que j'ai nommée gastronomie moléculaire (attention à la différence entre gastronomie moléculaire et cuisine moléculaire!). On pourrait se demander si les nouveaux gélifiants sont des produits « de synthèse », ce qui est différent de produits « chimiques ». Par produits de synthèse, on entend des produits qui ont été synthétisés. En l'occurrence, pour ces gélifiants, il n'y a pas eu de synthèse, mais seulement une « extraction », par le même type de procédés que pour l'extraction du sucre de table (saccharose) à partir de la bettrevave, ou de la gélatine des os des animaux. Dit-on que le sucre est chimique ? Non : le sucre est extrait de produits végétaux, la betterave ou la canne à sucre.

De mêmes, ces gélifiants sont des extraits de ces produits naturels que sont les algues, par exemple. Il peut aussi y avoir des exsudations d'arbres, pour certaines gommes. Donc il n'y a pas de chimie, mais seulement de l'extraction, tout comme pour la fécule de pomme de terre ou de riz, ou encore que la farine, qui est extraite du blé.

Bref il y a lieu de réfléchir au mot « chimique », que beaucoup emploient de façon plus que vague, et il faut surtout reconnaître qu'une grande partie des Français ignore ce dont il s'agit et ne fait pas la diférence entre ce qui est naturel, artificiel ou de synthèse.


Et c'est là qu'il faut revenir aux définitions du dictionnaire, puisque ce dernier est la base de nos communications humaines : « est naturel ce qui n'a pas fait l'objet de l'intervention d'un être humain ». Là il y a lieu de s'arrêter un peu, car la cuisine traditionnelle n'est donc pas naturelle, mais parfaitement artificielle. Tous les aliments sont artificiels. Pas synthétiques, mais artificiels : il faut bien un cuisinier pour cuire un poulet, non ? Enfin, j'ajoute que dans le mot « artificiel », il y a le mot « art », comme dans « artiste ».

Voilà pour l'artificiel. Mais il est vrai qu'il y a des artificiels de différents types. Il y a des artificiels extraits (la farine est extraite du blé), et il y a des artificiels qui sont synthétisés. Pas beaucoup quand même, car il est bien plus économique de les extraire. Il y a aussi des cas plus intéressants intellectuellement, comme cette vanilline qui est produite soit par extraction, soit par fermentation d'aiguilles de pin, soit par transformation moléculaire de pâte à papier.

La vanilline est un composé qui est présent dans la vanille, après la fermentation des gousses. Elle a une merveilleuse odeur de vanille, de sorte que, si l'on n'a pas de gousses, on peut très bien utiliser de la vanilline. Ce n'est pas identique, mais très semblable. D'autre part, pour le procédé à partir des aiguilles de pin : ces dernières sont parfaitement naturelles, ainsi que les micro-organismes qui assurent la fermentation. Cette dernière est un procédé tout à fait analogue à celui qui est mis en œuvre pour la fabrication du vin ou de la bière, de sorte que, si l'on finassait, on pourrait dire que la vanilline produite après purification du milieu de fermentation est « naturelle ». En réalité, elle ne l'est pas, puisque quelqu'un a orchestré les opérations. Et pour la production de cette même vanilline à partir de pâte à papier, il suffit presque d'un chauffage sous pression, pas bien différent d'une cuisson dans une cocotte minute ; il y a bien une transformation moléculaire, mais pas différence de la confection d'un caramel en cuisine ! Alors ? Alors terminons en observant que j'ai pris soin de ne pas nommer « industrie chimique » l'industrie qui effectue cette transformation, parce que je crois que l'expression serait indue : au mieux, on peut parler d'une industrie qui met en œuvre des connaissances de chimie. C'est plus long à dire, mais c'est plus juste.


Je reviens maintenant à la cuisine moléculaire : est-elle mauvaise pour la santé ? C'est un peu la même question que si l'on s'interrogeait sur le danger des marteaux. Sont-ils dangereux ? Avec un marteau je peux taper sur la tête de quelqu'un et le tuer, ce qui serait évidemment mauvais pour sa santé, mais je peux aussi faire attention et me contenter d'enfoncer des clous, ce qui sera bon pour la fabrication des meubles.

La question n'a donc pas de sens. Bien sûr, ceux qui ne réfléchissent pas assez peuvent tout confondre et dire que la cuisine moléculaire est mauvaise pour la santé, mais l'est-elle vraiment ? La réponse est : cela dépend de l'usage que l'on en fait. Ce n'est donc pas la cuisine moléculaire qui serait bonne ou mauvaise, mais l'usage qu'on en fait qui détermine son utilité ou son danger. D'ailleurs, à propos d'usage, il faut absolument arriver à la personne qui fait usage de la cuisine moléculaire. Cette personne peut très bien utiliser la qu'une moléculaire pour empoisonner quelqu'un ou, au contraire, pour le nourrir mieux qu'il ne se nourrissait par la cuisine traditionnelle. N'évitons jamais de désigner les vrais responsables !

En tout cas, il faut absolument que je signale ici que la cuisine moléculaire avait pour objectif de faciliter le travail culinaire. C'est-à-dire qu'au lieu d'utiliser des ustensiles très anciens, mal adaptés, etc. j'avais proposé d'utiliser des ustensiles appropriés, plus propres à leurs fonctions.

De même si je veux aller à New York, je peux bien sûr essayer d'y aller à la nage, mais j'irai plus vite en avion. Dans ce débat, il y a lieu de se souvenir qu'aucun d'entre nous n'écrit plus avec une plume et de l'encre : nous avons des ordinateurs, et d'ailleurs je réponds ici par ordinateur à des questions qui me sont posées par ordinateur.

Les transports ont évolué, les communications ont évolué, tout a évolué, et je ne suis pas à dos d'âne à Paris, pas plus que mes jeunes amis qui m'interroge ne sont à dos de mulet à Nantes. D'ailleurs j'ajoute que je ne voudrais pas avoir vécu il y a un siècle, et que je suis très friand de tous les progrès techniques qui me rendent la vie plus simple. Imagine-t-on d'écrire des journaux à la main comme les copistes du Moyen-Âge ? Enfin, sur ce chapitre, je veux quand même rappeler que nous sommes, grâce aux progrès technique, la première génération de l'histoire de l'humanité à ne pas avoir connu de famine, et encore, pas dans tous les pays. Je rappelle aussi qu'à l'époque où on a introduit les tracteurs, c'est-à-dire des machines qui voulaient faciliter le travail épuisant des agriculteurs, il y a eu des utilisateurs de faucille qui venaient détruire les tracteurs chez ceux qui en possédaient. Ils faisaient suite aux Luddites, en Angleterre… Il y a toujours eu, il y a et il y aura encore tout ce public qui a peur de ce qu'il ne comprend pas.


Arriverons maintenant à la question : la cuisine moléculaire a-t-elle occasionnelle ? Jadis oui, aujourd'hui non. J'ai dit oui, puisqu'il a fallu une vingtaine d'années pour arriver à ce résultat qui est que l'on trouve aujourd'hui des siphons dans les supermarchés les plus populaires, que des fonctions basse température sont sur tous les fours électriques, que les supermarchés vendent aujourd'hui l'agar-agar, les carraguénanes, etc., à côté des feuilles de gélatine.

Donc l'usage de la cuisine moléculaire est devenu très populaire. Par ailleurs, oui on peut aller manger occasionnellement chez un cuisinier qui fait de la cuisine moléculaire au sens du style, et qui va faire des plats tout à fait nouveaux et remarquables grâce à ces nouveaux outils de la cuisine moléculaire, mais la cuisine moléculaire est très démocratisée et c'était la mon objectif : rendre service à celles et ceux qui cuisinent tous les jours, à la maison.

La cuisine moléculaire n'est pas une cuisine pour les riches. C'est une cuisine pour tous, au contraire. C'est l'utilisation de connaissances pour faire mieux avec ce que l'on a.


Les ingrédients sont-ils plus dangereux que ceux de la cuisine traditionnelle ? Certainement pas ! D'ailleurs, si l'on se limite à une définition de la cuisine moléculaire comme une cuisine qui utilise des ustensiles moderne, il y a pas de raison de penser que la cuisine moléculaire puisse produire des aliments plus mauvais que la cuisine traditionnelle. Mais de toute façon j'y reviens : la cuisine traditionnelle n'est pas saine, comme le prouve la pandémie d'obésité… et il faut que notre cuisine évolue pour que nous ayons une alimentation mieux adaptée à notre vie dans les villes, plutôt qu'à la campagne ! Sans compter que des procédés comme le fumage sont certainement assez malsains, quand ils sont pratiqués comme à l'ancienne.


Enfin, selon moi, la cuisine moléculaire est-elle chimique ou naturelle ? J'ai expliqué au début que toute la cuisine est artificielle, qu'aucune cuisine n'est chimique, de sorte que je crois avoir répondu à toutes les questions !




jeudi 14 septembre 2017

Le public aurait peur de manger : ah bon ?



On me signale que le public aurait peur de manger. De fait, la presse bruit de telles idées (fantasmes?), une partie d'entre elle ne cessant de répéter (litanie, parce que les faits sont trop peu avérés ?) que les aliments seraient contaminés ou que l'on aurait peur des aliments en raison des risques sanitaires qu'ils feraient courir

Progressivement je me suis équipé d'une sorte de petit radar qui me fait dépister rapidement les généralisations abusives. Dire que le public a peur de son alimentation, qu'est-ce à dire vraiment ? Tout le public ? Certainement pas ! Une partie du public ? Combien ? Quelle proportion ?
En réalité, il y a de la malhonnêteté, ou de la naïveté, ou de l'ignorance, ou de la désinvolture, ou de la légèreté, à publier que le public aurait peur de son alimentation. Quant à publier que les aliments seraient contaminés, voilà donc une deuxième généralisation. Quels aliments ? Et puis, que signifie « contaminés » ?

Avec nos outils d'analyse moderne, nous pouvons détecter quelques molécules de n'importe quel composé dans n'importe quel échantillon d'aliment venant de n'importe où sur le Globe. Ces aliments sont-ils « contaminés » pour autant ? Cette question va évidemment avec la question suivante : la teneur en composés toxiques que l'on dépiste est-elle plus ou moins grande que par le passé ? Et puis, tant qu'on y est, il faut quand même savoir que tous les composés sont toxiques à des degrés divers, raison pour laquelle il n'y a pas d'aliments sains, mais des alimentations saines, avec une règle simple qu'il faut manger de tout en quantités modérées et faire de l'exercice modérément. Dans cette règle, il y a le « modéré » qui est tout, parce que c'est un adjectif, qui doit s'assortir immédiatement de la réponse à la question « Combien ? ».
Pour certains composés, telle l'eau, « modéré », cela signifie plusieurs kilogrammes. Pour d'autres composés, cela signifie bien moins, et, en général, on donne une indication de la toxicité avec un paramètre qui est le « DL50 », à savoir la dose à partir de laquelle la moitié d'un groupe de rats est tué. Cette dose s'exprime évidemment en masse par kilogramme de poids corporel, et plus les composés sont toxiques, plus cette valeur est faible. Ce qui est intéressant, c'est que des composés très toxiques, telle l'amanitoïdine des amanites phalloïdes, sont présents dans des aliments que nous jugeons admissibles, telle la girolle pour le composé précédemment nommé.


On voit donc que le « modéré » est quelque chose d'essentiel, mais on voit surtout que ce genre de discussions n'apparaît que très rarement dans les informations publiées. D'ailleurs, une partie (la mauvaise, évidemment) de la presse a souvent un bel aveuglement quand il s'agit de toxicité des aliments. Par exemple, pour la récente affaire des œufs, beaucoup de journalistes ont oublié de signaler qu'il s’agissait d'une question touchant principalement les œufs bio. Pourquoi cet oubli ? Parce que cela n'aurait pas été dans le sens du poil des lecteurs ? Je n'oublie pas que la presse doit vendre ses publications. Dans cette affaire, on a oublié de parler des risques réels, auquel cas on aurait pas dit grand chose, vu qu'on était bien au-dessous des seuils de toxicité, surtout quand les œufs entraient dans des produits transformés.
Mais mes amis auront observé que je ne parle pas de « la presse », mais d'une « partie de la presse » : on n'oubliera pas que s’il y a des journalistes sans vergogne, qui n'hésitent pas à vendre de la peur, au point que les instances professionnelles savent bien que la peur se vend mieux, ce qui est même enseigné dans les écoles de journalisme, il y a aussi des journalistes responsables, droits, intelligents. Ce qui pose la question à la fois de la confiance à accorder à des informations diffusées publiquement, et de la réglementation éventuelle de la diffusion des informations. Il n'y a pas aujourd'hui de permis de publier comme il y a des permis de conduire. N'importe qui peut dire ou écrire n'importe quoi, au nom de la sacro-sainte liberté de la presse. Cette même presse qui voudrait de la régulation sur les aliments refuse évidemment d'en avoir pour elle-même. Deux poids deux mesures.

Faut-il se faire du sang d'encre à propos de tout cela ? Je ne crois pas, car, d'une part, les enquêtes récentes montrent que le politique et la presse ne sont pas crus. Il y a seulement des langues et des plumes qui s'agitent, souvent en vue de gagner du pouvoir dans un cas, de vendre dans l'autre. Mais, d'autre part, il y a aussi le fait que le public, c'est-à-dire nous tous, ne cessons de boire (de l'alcool), de fumer, de manger des viandes (mal) cuites au barbecue, de manger du chocolat (gras plus sucre), de faire des excès, de faire insuffisamment d'exercice…
Le mieux que j'ai vu, de ce point de vue, c'est peut-être des connaissances qui fumaient des cigarettes bio ! Je n'ai jamais réussi à savoir si ces personnes étaient imbéciles, incultes ou malhonnêtes. Oui, malhonnête, car se donner des raisons pour justifier un comportement personnel que l'on sait mauvais est une forme de malhonnêteté. Mais je penche plutôt pour l'inculture, car je sais aujourd'hui que les mots « molécules », « composés », « toxicité », n'ont aucun sens, sauf inventé pour certains, de sorte que le maniement de ces mots par ces personnes est seulement une ignorance, ignorance qui conduit ces personnes à mettre sur le même plan des discours complètement fallacieux et des informations justes. Nos pauvres amis sont bien démunis pour vivre dans ce grand monde.



Mais je m'en voudrais de terminer sur cette note pessimiste, et je veux dire que je vois aussi beaucoup d'enfants qui ont soif d'apprendre, de connaître, d'étudier... C'est à nous de permettre à ces enfants d'être mieux que leurs parents, du point de vue de la connaissance, mais aussi de la morale, du jugement, de la raison, de la culture…

Il y a beaucoup à faire, et c'est là une entreprise merveilleuse qui commence à la naissance et ne s'achève jamais. Nos systèmes culturels doivent sans relâche accompagner nos amis à tous les stades de leur vie.


mercredi 20 juillet 2016

Comment être simple sans être simpliste : question de démocratie

 J'ai déjà largement discuté la question du simple et du simpliste. Mon ami qui m'a mis sur cette piste me pousse aujourd'hui à examiner la question, dans le cadre d'une communication particulière, à savoir la communication "publique" (prise de parole devant des individus, réponse à des journalistes, par exemple).

Des contraintes particulières : un atout pour être entendu

Cette fois, les   contraintes particulières imposent  la réponse que je crois pouvoir donner, et pour laquelle -que l'on me pardonne- je suis obligé de rappeler des faits passés qui m'ont concerné.
La première observation est la suivante : en trente secondes, on n'a de temps que pour faire passer une idée... dont on espère qu'elle sera entendue ; ou plutôt, non, dont on souhaite, dont on veut qu'elle soit entendue. Le discours qui doit être tenu, doit être tout entier tendu vers cet objectif, sans quoi, au lieu d'obtenir un peu, on n'a rien, ou l'inverse de ce que l'on souhaitait. Bref, il s'agit d'être très clair.
Commençons par observer qu'en trente secondes, on a juste le temps de dire environ une phrase  : je compte dans cette dernière le sujet, le verbe, le complément d'objet direct, mais je suis obligé de donner des  compléments circonstanciels. De toute façon, nous nous comprenons : une phrase, deux phrases... Qu'importe : ce que je crois que nous devons admettre, c'est que le nombre de phrases est très petit.
Cette solution de limiter le nombre de phrases que l'on dit, et de focaliser sur une seule idée, à plusieurs avantages. Si l'on jargonne, on dira que l'on "pitche", et que cela est efficace, mais qu'importe la langue anglaise, alors que nous avons le français, qui est une langue bien plus belle, subtile... Plus sérieusement, la limitation du nombre de phrases que l'on énonce  a  aussi l'avantage que, quand on doit répondre à des questions, il est plus facile de peser quelques mots que d'en peser beaucoup. Et puis, une phrase simple se comprend simplement, n'est-ce pas ?
On peut d'ailleurs parfaitement s'arrêter à cette phrase, avec le sentiment du devoir accompli, laissant l'interlocuteur assez désemparé quand il verra que, ayant répondu, nous sommes silencieux (son métier, c'est de nous faire parler).
 Il y a  lieu de considérer que nos interlocuteurs qui nous donnent trente secondes veulent trente secondes, et que la phrase est peut-être trop courte quand même, volontairement ou pas. Pour envisager les secondes disponibles, je propose maintenant de tenir  compte de conditions supplémentaires : parfois, la question n'est pas seulement la durée trop courte qui nous est accordée, mais il y a aussi le risque que nos interlocuteurs ne fassent ensuite de la manipulation du texte, avec des couper, des coller, des rabouter, etc.
 J'ai le devoir de témoigner qu'il m'est arrivé de me voir à la télévision, sur une grande chaîne nationale, répondre à un  journaliste que je n'avais jamais rencontré : on voyait le journaliste poser des question, on me voyait répondre, et l' "interview" durait ainsi cinq bonnes minutes. Tout cet interview avait été composé, questions et réponses, à partir d'archives audiovisuelles que des monteurs habiles avaient triturées.
Dans cette circonstance particulière, mes propos n'ont pas été déformés, et mes réponses étaient prises en totalité, sans doute parce que cela aurait été trop de travail, et donc trop d'argent, de faire de la dentelle, mais j'ai eu bien d'autres occasions, toujours pour des chaînes de télévision nationales (ce qui est d'autant plus scandaleux), de voir mes réponses manipulées dans un sens qui était entièrement déterminé a priori par le rédacteur en chef ; les journalistes n'étaient là que pour me faire délivrer suffisamment de message pour qu'ils puissent ensuite faire leur  bidouillages malhonnêtes.
Dans de longs tournages, qui auraient pu se conclure en quelques minutes, sous prétexte d'avoir assez d'images, les journalistes me répétaient inlassablement les mêmes questions, espérant que je donnerais des réponses différentes. Il y a bien longtemps, je répondais naïvement en variant mes réponses, mais quelle erreur ! Aujourd'hui, je suis fixé : premièrement, je commence par m'assurer par contrat du message qui sera finalement donné à l'isue de l'entretien, puis je répète inlassablement le même message :  un message pensé, et, mieux, un message pensé pour ne pas être découpable, pas être manipulable, sauf à faire bien pire que ce que certains se donnent le droit de faire. Je résiste au questionnement, et je reste sur une ligne absolue. Surtout, je fais très atttention que les messages soient justes, simples... et pas simplistes.
A contrario, je me souviens d'un individu qui se parait du titre de journaliste (dans un grand hebdomadaire français), et qui, face à moi dans un entretien radio, disait des choses fausses avec un aplomb incroyable (Marie Curie aurait découvert la mécanique quantique, Faraday aurait découvert le magnétisme...). Quand je lui faisais remarquer, toujours à la radio en direct, que ce qu'il disait était faux, il continuait, sur la même ligne, imperturbable, sans doute conforme à l'hypothèse de Lewis Carroll, ce Charles Dodgson qui écrivit notamment Alice au pays des merveilles, selon qui "Ce que je dis trois fois est vrai".
Oui, il y a une force dans ce qui est dit, juste ou faux, et la répétition permet d'augmenter cette force. Avec les exemples qui précèdent, on voit que cette idée permet de dire des choses justes, simples et pas simplistes, pour le bien de ceux à qui l'on s'adresse, mais il y a aussi une possibilité pour des malhonnêtes de faire passer des idées fausses.
Dans toute cette affaire, je vois qu'il faut absolument résister à nos réflexes, notamment notre volonté de répondre à des questions que l'on nous pose. Et là, je dois prendre l'exemple d'une expérience que je fais parfois avec les étudiants : je me dirige vers l'un d'entre eux, et lui tends un stylo ; le résultat ne manque jamais, à savoir que l'étudiant prend le stylo. Pourquoi le fait-il ? Il n'a en réalité aucune raison de le faire, et même quand on le fait remarquer, on constate que les individus ont le plus grand mal à résister à ce stylo tendu.
De même, dans une discussion, on a parfois le plus grand mal à ne pas répondre à cette nouvelle question que l'on nous tend et qui voudrait nous faire dire autre chose que ce que nous avons décidé de dire. On observera aussi que se limiter à une phrase permet d'y penser un peu et de la délivrer rapidement. Il y a mille façons rhétoriques de meubler le silence qui precède et de ne pas paraître hésitant.

Communication non verbale

Car il y a lieu de considérer par avance non seulement l'effet du message délivré sur nos interlocuteurs, mais aussi l'effet de notre façon d'être. Il y  a ainsi des individus qui ont une autorité, un charisme, et, un message qui est porté par celui qui l'énonce a plus de chances de se faire entendre qu'un message qui n'est pas "habité".  Bien sûr,  il convient sans doute d'apprendre à construire les messages avant d'apprendre à les porter, et de faire la synthèse ensuite, tout comme, au piano, il est plus facile de mettre en place la main gauche, puis la main droite, puis les deux ensemble. D'autres conseils (qui doivent donc donner lieu à des apprentissages) s'imposent, comme regarder les gens dans les yeux : l'effet est immanquable. Se tenir droit : là encore, il y a une force qui est donnée aux mots. Savoir bouger les mains : je me souviens de conférences merveilleuses de Pierre-Gilles de Gennes, prix Nobel de physique en 1991, qui avait un usage tout à fait extraordinaire de ses gestes, impérieux, professoraux...

Mais ne compliquons pas tout quand il s'agit d'apprendre, et revenons à la question de la phrase ou des phrases énoncées. Pour le langage, il y a l'orthographe, puis la grammaire, puis la rhétorique, et enfin l'éloquence. J'ai dit les choses dans l'ordre inverse de leur importance, et, dans la conception d'un discours qui ne se limite pas à une phrase, la construction semble devoir se faire à l'inverse : le gros d'abord, puis le détail.
 Je passe sur l'intonation, que je range du côté du langage corporel, et je vois que, pour un entraînement, il est sans doute plus facile de le faire par écrit, puisqu'il y a une lenteur qui permet mieux l'analyse. J'ajoute que je suis de ceux qui préfèrent toujours des idées justes, des phrases bien construites, des mots judicieusement choisis.
Par exemple, pour les idées justes, je crois qu'il est plus facile d'en montrer d'injustes, tels que "carré rond" ou "Père Noël"... , afin de mieux comprendre les possibilités de faute. Pour les constructions justes, il y a trop à dire... mais il faut s'interroger, car je ne suis pas sûr que  les constructions "justes"  soient les plus efficaces. Personnellement  je suis hélas affligé de cette faiblesse qui consiste à  vouloir proposer à mes amis un habillage un peu propre, et non des haillons négligés. Les mots justes, enfin : quand un individu prononce devant moi "rutilant" pour dire "brillant", je ne peux m'empêcher de penser qu'il ignore que ce mot signifie "rouge" (la couleur de ce mineral qu'est le rutile: un dioxyde de titane avec des traces de fer, de tantale, de niobium, de chrome, de vanadium et d'étain) et, comme je ne suis pas entièrement charitable, il m'arrive hélas fréquemment de faire remarquer à mon interlocuteur qu'il ne sait pas le sens des mots et que sa pensée est en conséquence pourrie. Évidemment, cela m'oblige à travailler dur pour être exempt de ce défaut  que je reproche aux autres, mais, en contrepartie, j'espère bénéficier d'une précision de langage qui, d'après Condillac et au moins Lavoisier, permet une pensée plus fine. Mais je renvoie à des discussions nombreuses sur les rapports entre la pensée et les mots, évoquées dans nombre de billets précédents.

Intéresser ? 

Mon ami qui me pousse sur la voie de ces discussions signale que les phrases énoncées dans un court laps de temps doivent "intéresser".
Evidemment, si l'on doit tenir la distance, il ne faut pas perdre  en route ceux qui nous entendent... mais si  le temps imparti est très court, a-t-on ce risque ? Pas toujours. De ce fait, faut-il intéresser ou dire les choses de façon solide ? Et "intéresser"... A vouloir jouer à ce jeu, on en arrive vite à manier le paradoxe... et l'on devient incompréhensible.
 J'en prends pour indication que ceux qui n'ont jamais rencontré le paradoxe du menteur (si je dis "je mens", suis-je en  train de mentir, auquel cas je dis la vérité ?) sont toujours bien lents avant de le comprendre : avec notre contrainte du temps court, de la nécessaire "répartie", nous sommes dans les choux, si je puis dire. Je me demande -mais c'est peut-être une idiosyncrasie que je ferais mieux de questionner-  si des questionnements ne sont pas plus efficaces ? Une question simple n'évite-t-elle pas d'asséner une vérité qui serait refusée ? Ne permet-elle pas de conduire à la réflexion (on voit que je joue ici au jeu que je suis en train de décrire ;-)) ?
Une question simple se dit en quelques mots, et, la question étant posée, elle manque rarement d'être considérée par nos interlocuteurs, de sorte que nous pouvons alors leur donner des éléments afin qu'ils se forgent une réponse. Appâtés par la question, comme le stylo tendu évoqué précédemment, ils accepteront les arguments que nous leur donnerons, sans en discuter trop la validité, de sorte que nous les conduirons peut-être à la conclusion que nous souhaitions.
C'est une méthode dont je ne dis pas qu'elle est la bonne, mais j'attends de mes amis qu'ils m'en donnent d'autres. Discutons, afin de choisir notre... argumentation. A ce dernier mot, je ne saurais trop répéter la phrase de Cicéron selon laquelle tout homme qui ne connaît que sa génération est un enfant. De même, l'argumentation a été considérée par de beaux esprits depuis des siècles, des millénaires, et il y a donc lieu de se reporter à leurs  productions, au lieu de réinventer la poudre comme je le fais ici... pour les besoins de la réponse à mon ami.
Après tout, je sais qu'il ne me pousse pas à répondre à la question de la simplicité et du simplisme pour en faire des montages malhonnêtes, mais, bien au contraire, parce que nous avons en commun le souci de la saine transmission. Merci !

vendredi 15 mars 2013

Pourquoi la science et la technologie font-elles peur ?

J'avais promis de réfléchir à la question : pourquoi la science et la technologie font-elles peur ?
D'abord, il est toujours judicieux, quand on considère du vivant, de ne pas oublier que celui que nous considérons aujourd'hui est le produit de l'évolution biologique. Or pour être présent aujourd'hui, la vie à dû surmonter mille épreuves : proies, prédateurs, famines dues aux grands froids, aux grandes sécheresses, inondations, gel, canicules... Tout s'y est mis pour éliminer la vie, et seuls les plus "adaptés" ont réussi à survivre.
Il faut en conclure que nous avons dans notre passé de l'espèce, voire du genre, des milliers de mécanismes qui assurent notre survie.
Et si la prudence en était un ? Si nous étions a priori méfiant, de tout changement... en même temps que très opportuniste, et prêts à sauter sur l'occasion? Pour faire ces choix, nous avons besoin d'un jugement, et ce jugement ne peut guère tenir compte des résultats des sciences ou des techniques. C'est quelque chose d'instinctif. Mieux, même, plus la nouveauté est obscure, et moins nous sommes sans doute capable de l'apprécier.
Or la science et la technologie modernes sont "alambiqués", composés, peu intuitifs. Il est donc "prudent", à l'aune de l'évolution biologique, de les refuser.

Autre piste importante : le fait que l'enseignement ait longtemps sélectionné les élèves, à l'école, sur les capacités d'abstraction, de calcul, de science, de technologie. Autrement dit, la science et la technologie sont des règles avec lesquelles les enseignants de l'Ecole, du Collège et du Lycée  ont tapé sur les doigts... du plus grand nombre (sélectionner, c'est ne garder que quelques uns).
Comment voulons-nous, ensuite, que la masse du public aime les sciences et la technologie ? Bien impossible ! Et nous aurons beau faire, il faudra vaincre une sorte de "réflexe conditionné", ce qui ne se fait pas en un jour.

A cela, il faut ajouter que nos capacités explicatives sont assez médiocres : allez donc expliquer, sans calcul, les arcanes de la mécanique quantique, de la décohérence, de l'intrication, ou même, plus modestement, la seconde loi de Fick, ou même le fait que le dénominateur de l'écart-type d'un échantillon doive s'écrire n-1... Allez donc expliquer "avec les mains" l'effet gyroscopique, ou pourquoi les vagues arrivent parallèlement au rivage...
Certes, on parvient à donner des idées de, ou le goût de, avec des exemples tel que la conjecture de Syracuse, dont nous avions fait un dessin animé sur Arte, mais les difféomorphismes du cercle ? les tores à trois dimensions ? la démonstration par Andrew Wiles du théorème de Fermat-Wiles ?

Autrement dit, si nous ne savons pas expliquer, comment attendre que nos amis puissent comprendre ? Et donc qu'ils puissent accepter. Sommes-nous assez fiables pour qu'ils aient confiance ?

Cela étant posé, il y a sans doute d'autres causes que je n'ai pas le temps de considérer et d'évoquer. Mieux vaut proposer avec optimisme et dynamisme des pistes pour améliorer les choses.
D'abord, "Si Peau d'Âne m'était conté, j'y prendrais un plaisir extrême", disait La Fontaine. Apprenons à raconter des histoires, et racontons-les. Activement. Pas besoin de "science citoyenne", surtout quand elle est trouble, mais mobilisons-nous pour :
1. être des citoyens exemplaires
2. donner des explications, afin de ne pas former une caste supérieure, méprisante du peuple
3. refusons d'être des gourous, et ne parlons que dans le domaine d'expertise qui est le nôtre
4. apprenons à nous enthousiasme pour la science, la technologie, la Connaissance, la Culture !

Et c'est ainsi que la physico-chimie est belle ;-)