jeudi 18 août 2016

Les six conseils de Michael Faraday

Vérifier ce que l'on nous dit.
Ne pas généraliser activement.
Avoir des collaboration.
Entretenir des correspondances.
Avoir tout sur soi un soin calepin pour noter les idées
Ne pas participer à des controverses.
Voilà les six conseils que le physicien anglais Michael Faraday avait trouvé dans un traité d'amélioration de l'esprit du clergyman Isaac Watson. Ces six conseils furent essentiels, pour lui, dont le père était mort quand il était encore jeune.

On n'a pas assez dit l'importance des groupes de réflexion, et je ne suis pas sûr que tous les élèves, dans les écoles, connaissent l'existence de ces groupes. Voilà pourquoi, parmi mille autre raison, l'histoire de Michael Faraday est importante. Le mercredi soir, ce jeune apprenti relieur qu'était Faraday rejoignait un groupe de personnes du même âge que lui, dans la City, à Londres, et ils discutaient de divers sujets, un peu comme cela se fait dans les loges maçonniques. Chacun devait travailler un thème et l' exposer aux autres, qui en discutaient la qualité, l'intérêt et la pertinence...
Personnellement, j'ai eu la chance de voir mes parents faire de même, le soir, après le travail, après le dîner, partir en ville retrouver des collègues devenus des amis pour discuter de leur métier, mais non plus dans la pratique de ce dernier  ; plutôt dans son analyse. C'est ce qui fait toute la  différence entre la technique et la technologie, entre  le technicien et le technologue.
À l'époque de Faraday, la science était en vogue, parce qu'elle était encore accessible à n'importe qui dans sa pratique. C'était la grande mode de l'étude de l'électricité, pour laquelle il suffit d'une boussole, pour détecter un champ magnétique, d'une pomme de terre et de deux fils métalliques pour faire une pile... Et c'est ainsi que Faraday, ayant entre les mains le livre The improvement of the  mind, en tira des règles de vie qu'il s'appliqua toute la vie. L'histoire de Faraday montre comment l'application de ces règles fut à l'origine de son immense succès. 

1. Ne pas généraliser hâtivement :  c'est  bien là une règle essentielle en sciences, où, certes, il faut voir la généralité à partir de cas particulier, ce qui se nomme induction, mais où il faut prendre garde à ne pas prendre ses  désirs pour des réalités. La nature a ses voies, qui ne sont pas celles de nos désirs. La science  explore les phénomènes, et elle ne confond pas ces derniers avec nos idées sur le monde. Cela fait toute la différence entre la science et la pensée magique, exposée dans d'autres billets. Oui, il faut généraliser, mais non, il ne faut pas généraliser hâtivement. En sciences, il faut des répétitions,  des expériences, des répétitions des mesures, des répétitions des observations, l'accumulation d'un très grand nombre de données pour finalement arriver à quelques conclusions,  qui permettront de bâtir des théories.

2. Avoir toujours sur soi un calepin pour noter les idées :  cette fois, il y a un conseil absolument essentiel. Dans cette proposition, l'objectif semble de noter les idées. Mais pourquoi noter les idées ?  Pour plusieurs raisons. Tout d'abord, les idées sont fugaces, et il arrive bien souvent qu'une idée qui n'est pas notée disparaisse. C'est vraiment dommage si cette idée est bonne, si l'on s'est échiné à la trouver. D'autre part, nous devons avoir l'esprit libre pour penser, et une difficulté que j'analyse chez certains étudiants, c'est que leur vie est pleine de complexités (familiales, sentimentales, financières...), ce qui les  gêne pour manier les idées qui sont au centre de leur travail. Quand les parents divorcent, quand on n'a pas assez d'argent pour payer le loyer, quand on a des problèmes de coeur…, comment avoir l'esprit libre pour penser ? Il se trouve que le simple fait de noter les choses permet à la fois de s'en vider la tête et de les avoir ensuite sous les yeux à volonté. Aristote, le grand Aristote, disait que l'écriture était la mort de la pensée, et je ne suis pas d'accord avec cette proposition, car sa généralité est excessive. Bien sûr, écrire et penser sont deux choses différentes, mais précisément poser par écrit est une bonne façon de conserver les idées pour plus tard. Il y a la question de la production de la pensée, et celle de sa conservation.  De surcroît, écrire les idées impose de les formuler,  et, là, on doit penser au mathématicien Henri Poincaré, qui a clairement expliqué que sa difficulté n'était pas de produire des nouveautés mathématiques, mais de trouver les mots pour décrire ces nouveautés qui étaient spontanément nées en lui.
On retrouve avec une telle déclaration le grand débat agité par Condillac et Lavoisier sur les rapports entre la science le langage, avec cette idée selon laquelle on ne peut pas améliorer les sciences sans perfectionner le langage et vice versa. On le voit, les grands anciens se sont préoccupés de cette question des mots, car il est bien vrai que nos  théories scientifiques s'expriment en équations c'est-à-dire in fine en mots,  puisque ce fut l'apport de penseurs comme Descartes et Leibnitz que de forger  un langage plus facilement manipulable que les mots du langage naturel ; mais un langage quand même. Ce fut d'ailleurs la grande question de la création de la chimie moderne avec Lavoisier que de savoir les relations entre les dénominations et  les objets de la chimie, question qui fut reprise avec brio par le chimiste français Auguste Laurent quelques décennies plus tard.

3. Ne pas participer à des controverses : dans la mesure ou la science n'est que proposition de théories et évocation de mécanismes, on comprend qu'il puisse y avoir des théories concurrentes, des mécanismes différents pour décrire le même phénomène. Et l'on comprend que certains individus qui sont dans l'acte de création puissent parfois avoir une fierté (on aurait pu dire ego) qui déborde un peu. Après tout certains ont besoin de s'affirmer avant de pouvoir affirmer, prétendre,  proposer des idées. Le monde scientifique, fait de créateurs comme le monde artistique, est composé de beaucoup d'individus à l'ego  puissant. Il faut faire avec, mais il est vrai que la rencontre de deux théories concurrentes risque de tourner à la controverse. Pourtant, les belles  personnes qui se préoccupent avant tout d'étendre le royaume du connu, plutôt que de s'affirmer personnellement, n'ont pas de raison de participer aux controverses. Si le but est véritablement de trouver les mécanismes des phénomènes, alors il vaut bien mieux considérer avec intérêt des  théories concurrentes avant de trancher abruptement et de se faire des ennemis. Nous avons beaucoup trop besoin d'amis, et surtout d'amis merveilleux (pléonasme ?) pour en perdre quelques uns en route. Nous avons besoin de discuter avec nos amis, d'analyser les propositions, d'en peser les intérêts et les failles, en vue de trouver finalement celles qui s'imposeront, parce qu'elles conduiront à des meilleures descriptions du monde. On doit  se rappeler avant tout que voilà l’objectif : ne pas s'affirmer, mais plutôt identifier les mécanismes des phénomènes, mieux comprendre le monde. De là l'idée de Faraday : ne pas participer à des controverses, mêmes si l'on participe à des discussions scientifiques. Mieux encore, nous devrions être capables de préférer être réfuté à voir nos théories s'imposer si elles sont par trop insuffisantes.
Pour ce qui est de Faraday, il avait résolu la question en travaillant seul ou avec un technicien qui l'aidait. Mais  il n'allait guère dans les cercles scientifiques après avoir été nommé directeur de la Royal Institution. Certes il assistait à toutes les conférences du vendredi qu'il avait initiées, mais il invitait les collègues à les faire. Là, il ne discutait pas de théories opposées, mais il voyait des expériences et les choses de façon plus détachée. Et puis il y avait les faits… car les expériences montraient les faits. C'était sa façon, parfaitement respectable, et qui allait avec cette phrase.

4. Avoir des collaborations. Là Faraday a retenu cette idée, mais il l'a peu mise en pratique. En réalité, il a peu collaboré. Sa timidité, sa gentillesse, ou peut-être sa sagesse l'ont éloigné des collaborations, et il travaillait dans le calme, se parlant à lui même, notant ses idées dans ses carnets, pouvant passer des jours dans son laboratoire, tout entier consacré à sa recherche, sans un mot. Pour autant, on peut aussi également  imaginer l'inverse : des travaux d'équipe. Cela est aujourd'hui très à la mode : le mot "collaboratif" est partout, peut-être trop.
Dans bien des travaux de science moderne, nous avons besoin de collaborations, ou nous pensons en avoir besoin. Nous en avons besoin, par exemple, pour la détection du boson de Higgs  ou des ondes gravitationnelles. Mais il y a toute une place où ces collaborations ne sont pas nécessaires. Bien sûr, les scientifiques confirmés ont un devoir de transmission (ce qui n'est pas une « collaboration »), à savoir que, ayant bénéficié d'une formation par de plus anciens, nous avons le devoir de former de plus jeunes, ou, disons le mieux, d'aider de plus jeunes à se former, car pourquoi penserons nous que notre modèle est bon ? Surtout, dans cette discussion, je propose de ne pas perdre de vue l'idée qu'il existe divers sports : individuels comme la gymnastique, ou collectifs comme le rugby. Il y a des individus qui se sentent mieux à jouer au rugby, et d'autres à faire de la gymnastique. Les divers sports nécessitent différentes capacités, et il n'y a pas de raison pour laquelle nous devrions tous faire du rugby, ou tous faire de la gymnastique. Après tout, des Faraday, Einstein, Planck, ont été très individualistes, et je ne vois pas en quoi on pourrait leur reprocher,  vu les résultats admirables qu'ils ont obtenus.  Donc, avoir des collaborations, pourquoi pas, mais cela n'est pas une obligation,et, j'y reviens, Faraday donnait ce conseil sans se l'appliquer à lui-même.

5. Vérifier ce que l'on  nous dit : là,  Faraday donne  encore une règle générale de vie, mais  je ne peux m'empêcher de la prendre dans le cadre scientifique, ce qu'il fit également. Pour la gastronomie moléculaire, il a  été essentiel, au début, de savoir résister aux arguments d'autorité, et ne pas accepter des idées qui n'étaient pas testées. Le monde  de la cuisine est plein d'idées fausses qui se sont propagées avec les siècles. Il a été très important, en de nombreuses circonstances,  d'apprendre à tester les idées avant d'en chercher des interprétations. Parfois, nous avons été heureusement surpris de voir que des idées qui semblaient fausses étaient en réalité justes, mais nous avons aussi vu de nombreux cas où des idées qui semblaient justes, ou simplement plausibles,  était très fausses. Tout cela, c'est le groupe des "précisions culinaires", ces ajouts techniques à ce que j'ai nommé des définitions. Il y a des précisions culinaires de toutes sortes, et, avec les années, j'ai bien appris à ne jamais chercher  d'interprétations à des phénomènes qui n'avaient pas été avérés préalablement grâce à  des expérimentations, car que je me mords encore les doigts de cette expérience que j'avais faite en 1992 et qui consistait à emporter une bouteille de diazote gazeux jusqu'en haut d'une montagne où nous avions un colloque, afin de voir pourquoi les blancs  d’œufs montés en neige et redescendus ne remontaient pas. J'avais cru, à cette idée qui m'avait  été donnée par des chefs triplement étoilés, et j’avais fait  l'expérience de battre des blancs neiges sous diazote, de les laisser  redescendre, et de les battre à nouveau ensuite. Il étaient remonté, de sorte que j'avais hâtivement conclu que c'était l'oxygène qui étais responsable du fait que des  blancs de battus en neige et redescendus ne remontent pas. Pourtant, de retour au laboratoire, au calme, j'ai simplement battus  des blancs, je les ai laissé redescendre, et ils ont parfaitement remonté, de  sorte que tous les ennuis associés au transport d'une grosse bouteille de diazote en haut d'une montagne auraient été évités si le phénomène avait été d'abord testé simplement. Avec les années, j'ai vu se multiplier les réfutations des idées écrites par des chefs étoilés, et aujourd'hui je sais combien la phrase de Michael Faraday est juste.

 6. Entretenir des correspondances : on retrouve ici la discussion sur  l'emploi des mots, et le petit calepin que l'on a sur soi pour noter les idées. Les correspondances sont un autre moyen d'exprimer clairement les choses, et cela peut être une aide que de s'adresser à autrui, au lieu de se parler à soi même en prenant pour acquis des choses qui ne sont pas assurées. Mais ce n'est pas le seul intérêt des correspondances. Les échanges scientifiques sont aussi une façon de partager le bonheur de la recherche scientifique, de se convaincre quotidiennement que la recherche scientifique est quelque chose de merveilleux, d'avoir des amis à qui l'on peut parler de ce bonheur, ce qui l'augmente encore, et d'avoir parfois un regard critique sur nos propres travaux.
Dans mon cas, j'ai toujours considéré comme important d'avoir quelqu'un qui me donne des coups de pieds aux fesses. Pendant longtemps, ce fut Nicholas Kurti, puis quand il est mort, Georges Bram, chimiste de l'Université d'Orsay, avait accepté de jouer ce rôle. C'est un rôle amical, évidement, puisqu'il faut l'attention d'un ami qui observe nos travaux avec bienveillance, qui y passe du temps. Bien sûr, avec les années, j'ai appris à me donner à moi-même des coups de pied aux  fesses. Reste que la correspondance, c'est aussi un moyen de dire les choses de formuler des concepts, d'expliciter les notions, de décrire les méthodes.

mardi 16 août 2016

« Comme chimiste, je passais cette oeuvre à la cornue, et il ne resta que ceci »...

« Comme chimiste, je passais cette oeuvre à la cornue, et il ne resta que ceci »...
Ici je donne une phrase extraite du livre intitulé La physiologie du goût de Jean-Anthelme Brillat-Savarin, et il y a lieu de la considérer avec amusement, car Brillat-Savarin n'était pas chimiste, mais juriste. Dans son livre, il se donne le titre de  docteur, de maître, de chimiste,  de physiologiste.. mais il n’était rien de tout cela  : je répète qu'il était juriste.
La physiologie du goût est un livre merveilleux pour les gourmands, mais souvent ennuyeux, parce que précisément, pour donner un air sérieux à cette œuvre légère, littéraire, Brillat-Savarin a habillé son discours, et les « tunnels littéraires techniques » sont nombreux, sans doute pour donner de la crédibilité au reste de l'ouvrage, qui est parfois à d'un léger extrême.

Cela dit,  Brillat-Savarin s'est beaucoup amusé, comme le montre son texte et s'il se dit  chimiste, c'est évidemment par jeu. Jeu littéraire, avec un registre lexicographique qui prend de la couleur, tant il est vrai que des termes comme distiller, infuser, alambiquer, purifier, etc. sont des termes de métier, concrets, qui ancrent  un discours dans du solide, du pratique, du sensuel.

Tout  cela étant dit, on ne  manquera pas de se souvenir que les Jésuites proposaient de ne pas se comporter en tant que chrétien, mais en chrétien.  De même, nous ne devons pas nous comporter en tant que physico-chimiste, mais en physico-chimiste. Brillat-Savarin, lui, se comportait en tant que chimiste ; d'ailleurs, il écrit « comme chimiste ». Qu'importe : il reconnut l'importance de cette merveilleuse  activité qu'est la chimie, que l'on voit d'ailleurs décrite  par de merveilleuses planches dans l'Encyclopédie de Diderot, où l'on perçoit bien l’importance de la technique, de la matière. La chimie a cela d'extraordinaire que des instruments très simples, qui s'apparentent à des casseroles, permettent d'effectuer des opérations de transformations de la matière. Il y a là de quoi éblouir les enfants, et je crois que nous ne devrions pas manquer cette occasion. Bien sûr en grandissant, il apprendront à passer de la chimie (les transformations) aux sciences  chimiques, de la technique à la technologie et à la science, mais il y a là un chemin qu'ils devront parcourir par du travail. Ce travail sera passionnant s'ils ont appris à en voir les beautés.

dimanche 14 août 2016

La Raison


Depuis des mois, des années, je fait l'apologie des Lumières, de la rationalité et de la Raison. La Raison ? Sutor non supra crepidam : le cordonnier, dit-on, ne juge pas plus haut que la chaussure, et je risque de ne pas aller bien loin, moi qui ne suis pas philosophe de profession.

Après cette introduction, je dois commenter ce que je viens de dire, en commençant par préciser que je ne veux évidemment pas mépriser le cordonnier, car l'homme n'est pas un ustensile, comme le disait  justement Confucius : nous ne sommes pas réductibles à notre métier, et tel "boulanger" sera également organiste, tel électricien sera chanteur d'opéra. La phrase latine me sert surtout à dire publiquement que, à un moment donné de mon existence, je ne peux que difficilement faire mieux que ce que je fais. Ou alors, au prix d'un effort particulier. Il faudra un travail de fond pour cesser d'être "cordonnier" pour devenir... chapelier ;-).
J'y reviens, d'autre part : je veux aussi me souvenir modestement que je ne suis pas philosophe, à moins d'être ce que le physico-chimiste britannique  Michael Faraday et d'autres nommaient un  "philosophe naturel", puisqu'ils désignaient par philosophie naturelle ce que nous nommons aujourd'hui les sciences de la nature.
Mais ce serait tordre le bras à la langue actuelle, et j'y reviens, je ne suis pas philosophe. De ce fait, je risque de pêcher par ignorance, quand j'utilise des mots que les philosophes ont connoté, détourné, accaparé... Par exemple, "expérimentalisme" : je ne peux plus l'utiliser pour désigner une façon de penser la science qui serait fondée sur l'expérience, puisque John Dewey, par exemple, lui donna un sens particulier, et que l'on risque de m'opposer ce sens (sans compter que le mot fut utilisé pour désigner un courant littéraire, notamment).

 Alors, raison ? Puis-je décemment en parler ? Je propose d'oublier que  les mots font aussi partie d'un corpus partagé, qui commence dans les (bons) dictionnaires.
Le mot raison vient du latin ratio, qui désigne une « mesure », un « calcul », la « faculté de compter ou de raisonner », une « explication ». En mathématiques, c'est le « rapport entre deux nombres ». Il s'agit donc bien du sens primordial de « mesure », de « comparaison. » L'homme doté de raison, de rationalité, est donc celui qui possède l'art de la mesure ou plus encore l'art de faire une comparaison mesurée avec précision. Cette comparaison s'opère au moyen de l'intellect, mais davantage encore, au moyen d'instruments de mesure.

samedi 13 août 2016

Comment faire d'un petit mal un grand bien ?


Dans les emails que chaque membre de notre Groupe de gastronomie moléculaire envoie à  tous les autres, chaque soir, pour faire état des travaux effectués pendant la journée, il y a un tableau qui comporte des lignes. Par exemple,  nous décrivons  nos travaux, scientifiques ou de communication, nous décrivons ce que nous avons fait d'un point de vue administratif, nous disons ce que nous avons appris (connaissances) et appris à faire (compétences) ; nous disons ce que nous avons donné aux autres : un coup de main, un calcul, la correction d'un texte.

Mais la ligne la plus essentielle de ce tableau est intitulée "symptôme"  : nous décrivons ce qui a coincé. Cette ligne est essentielle, parce que l'analyse de ce qui a coincé est la possibilité de progresser. C'est parce que nous nous heurtons à un obstacle, si nous apprenons à le contourner, à l'escalader, que nous aurons des chances de progresser. Si nous identifions qu'une connaissance nous manquait, nous l'obtenons.  S'il nous manque une compétence, nous pouvons avoir l'objectif de l'acquérir.
Chaque fois, il y a ce mouvement très positif d'arriver à un état meilleur que l'état précédent. Il y avait un un petit mal, et nous en avons fait un bien. Tant qu'à faire, pourquoi pas un grand bien ?

Un bon exemple d'un tel mouvement eut lieu un jour, avant un banquet que je devais commenter, et où une sauce avait raté : la sauce était grumeleuse, impossible à servir...
Ce jour-là, j'ai eu l'idée d'analyser la question : la sauce était ratée ? Que cela signifiait-il ? Qu'il y avait un sédiment et un liquide clair. Clair ? Après tout,  les cuisiniers cherchent toujours à clarifier les bouillons, de sorte que cette clarification était un avantage. Nous pouvions donc produire un liquide clair à partir de cette sauce grumelée.
Effectivement la décantation de la  la sauce ratée conduisit à une sorte de purée, qui avait beaucoup de goût, et qui fut servie, et à un liquide parfaitement clair, qui avait le goût de la sauce visée.
Finalement ce petit mal de la sauce ratée a conduit non seulement à une sauce d'une limpidité absolue, qui fut servie dans un verre de cognac, mais aussi à me faire comprendre que nous aurions sans doute intérêt à toujours faire d'un petit mal un grand bien. A nous d'analyser le ratage, pour parvenir à ce grand bien. Ce n'est pas un grand bien obtenu par déduction, mais par induction, de sorte que si nous y avons pensé beaucoup, nous saurons faire preuve de créativité.
Là, j'entends nombres d'amis qui avouent leur insuffisance dans ce domaine : créativité, innovation... Toutefois j'ai fait un livre entier (Cours de gastronomie moléculaire N°1) pour expliquer comment la créativité n'est pas un don du ciel, mais plutôt la mise en œuvre active d'une méthode systématique que j'ai  détaillée dans ce livre. La méthode est systématique, donc infaillible. Elle ne demande qu'une chose : du travail... ce qui est donc merveilleux, au moins pour les individus  que j'estime le plus : ceux qui n'hésitent jamais à se retrousser les manches. Je ne doute pas que le travail leur donnera  la créativité, après un peu d'exercice, de sorte que, presque à coup sûr, ils sauront faire d'un petit mal un grand bien.

vendredi 12 août 2016